Lahcen Daoudi: "Les aspirations des Marocains sont supérieures à la progression économique"

Après sa démission, Lahcen Daoudi se confie à Telquel.ma au sujet les raisons de sa participation au sit-in et de la nouvelle crise qui secoue le gouvernement.

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Lahcen Daoudi, ministre des Affaires générales, au côtés des salariés de Danone lors d'un sit-in le 5 juin devant le Parlement. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Lahcen Daoudi a pris tout le monde de court le 5 juin en prenant part à un sit-in des salariés de Centrale Danone devant le Parlement. La scène, largement relayée sur la toile, a suscité railleries et colère, jusque dans son propre camp. Le lendemain,  le ministre PJD des Affaires générales et de la Gouvernance, blâmé par le chef du gouvernement, présentait sa démission.

Réuni mercredi 6 juin au soir, le secrétariat général du parti du parti de la lampe qualifie son comportement d’« inapproprié » et accède à sa demande de démission. Démission qui sera transmise au roi Mohammed VI, conformément à l’article 47 de la Constitution. Dans cet entretien, le ministre revient sur son geste, qu’il dit ne pas regretter, sur le boycott ainsi que sur la crise de confiance des Marocains envers le gouvernement.

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On dit que vous vous êtes excusé auprès du chef du gouvernement. Regrettez-vous d’avoir participé à la manifestation aux côtés de salariés de Centrale Danone ?

D’abord, je ne me suis pas excusé du tout. Quand je fais un acte, je ne reviens pas en arrière. C’était réfléchi. Il fallait que je défende l’emploi. Ce n’était pas pour défendre une société. C’est dans cet esprit que je suis descendu.

C’est le ministre qui a manifesté ou le citoyen ?

Je n’avais pas le choix. Je traversais le groupe quand j’ai été interpellé. Je me suis dit : au lieu de m’arrêter au milieu de la route, je descends [de la voiture, ndlr]. Ce n’était pas prémédité. Je me suis retrouvé dedans, je ne peux pas fuir des gens qui m’appellent, ce n’est pas dans mon caractère.

Alors que les chefs des autres partis de la majorité gardent le silence au sujet du boycott, les ministres du PJD se mettent en avant au risque de commettre des erreurs…

C’est évident, nous ne sommes pas parfaits. Les erreurs, on en commet chaque jour. Mais, en tout cas, moi, je dois faire mon travail dans la mesure où je suis responsable des prix. J’ai fait mon travail. Les autres, bon…

L’Exécutif donne le sentiment qu’il ne sait pas comment se comporter face à cette situation nouvelle. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est normal. Face à un phénomène nouveau, on ne réagit pas avec les instruments d’hier. Et adapter les instruments à cette nouvelle situation ne se fait pas en une heure. C’est un phénomène nouveau qui a surpris tout le monde. Est-ce que les sociétés y étaient préparées ? Personne n’était préparé à ce genre d’action. C’est du virtuel : vous n’avez pas un problème en face de vous, mais une opinion publique qui change. Quelle est la solution ? Il faut des psychologues, des sociologues, des think tanks pour réfléchir à tout ça.

Il s’agit bien, donc, d’une crise à laquelle le gouvernement est incapable de remédier…

On ne passe pas par une crise, mais par une étape complètement nouvelle où le virtuel remonte à la surface facilement. Cela concerne le monde entier et pas seulement le Maroc.

Mais la situation nouvelle qu’est le boycott ne concerne que le Maroc. D’autant que le pays vit au rythme de tensions sociales qui ne cessent de se répandre depuis plus d’un an.

Il faut s’adapter, mais les Etats ne s’adaptent pas facilement. Il y a eu des périodes avec plus de manifestations au Maroc. On était donc habitué aux manifestations, c’est la manière de mobiliser qui est nouvelle. C’est nouveau pour tout le monde.

Entre tergiversations et improvisation, le gouvernement, perçu comme faible et impuissant, semble dépassé par les événements. Le statu quo est-il appelé à durer ?

Les gens étaient habitués à avoir des réactions rapides. Maintenant, lorsque vous n’êtes pas préparé à quelque chose, c’est une avalanche qui vous tombe sur la tête, et vous n’êtes pas non plus préparé pour ça. Désormais, il faut absolument y réfléchir.

Si vous raisonnez en termes de bilan, il est meilleur que ce qui s’est fait avant. Il faut comparer le comparable, en termes d’emplois, d’investissements… Peut-être qu’il y a un problème de communication. Mais c’est un gros problème de communiquer avec une nouvelle forme de manifestation, car il n’y a pas de communication dédiée à ça. Il faut la forger. Gérer une nouvelle situation n’est pas facile. Si un pays avait trouvé une solution, on l’aurait adoptée. On n’a pas de think tank de psychologues, de sociologues… qui pensent les mouvements de société et qui préparent ces outils.

Etes-vous d’accord, néanmoins, qu’il y a une crise de confiance entre les gouvernés et les gouvernants ?

Pas une crise de confiance au sens du travail, par exemple. Ce sont en fait les revendications qui dépassent ce que fait un gouvernement. Les aspirations sont supérieures à ce qui peut se faire. La réalité, c’est que le Maroc avance, mais que les aspirations des Marocains sont largement supérieures à la progression économique. C’est ce décalage qui crée une frustration.

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