Catalogne: le président séparatiste temporise sur la déclaration d'indépendance

Le président séparatiste catalan Carles Puigdemont a renoncé mardi soir à déclarer immédiatement l'indépendance, évoquant une "suspension" en vue d'un dialogue et semant la confusion sur ses intentions.

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L'ex-président catalan Carles Puigdemont Crédit: AFP

« Le gouvernement de Catalogne et moi-même proposons de suspendre les effets de la déclaration d’indépendance« , a déclaré Carles Puigdemont, sans fixer de délai précis, lors d’une allocuation historique au Parlement, placé sous haute sécurité. Auparavant, il avait estimé devant les parlementaires qu’il avait reçu un « mandat » des Catalans qui s’étaient exprimé à travers un référendum interdit le 1er octobre, « afin de transformer la région en un Etat indépendant sous forme de république ».

Dans une première réaction, le gouvernement espagnol a estimé qu’une « déclaration implicite d’indépendance (….) n’est pas admissible« , a indiqué un porte-parole de l’exécutif à l’AFP. Pressé de toutes parts, l’ancien journaliste de 54 ans a ainsi semblé choisir la voie médiane: maintenir les engagements pris avec son électorat, mais garder une porte ouverte pour une solution négociée, qui s’annonce difficile.

Le défi lancé à l’Etat par le dirigeant de cette région au coeur de l’Europe méditerranéenne où vivent 16% des Espagnols reste sans précédent depuis que le pays a retrouvé la démocratie en 1977. Jusqu’à la dernière minute, Madrid et l’Europe ont exhorté le leader séparatiste à ne pas prendre de décision « irréversible », rappelant que l’Union européenne ne reconnaîtrait pas une Catalogne indépendante. L’appel de M. Puigdemont au dialogue risque de se heurter à la fermeté de Madrid.

Quelques heures avant son discours, la vice-présidente du gouvernement Soraya Saenz de Santamaria a déclaré qu’il n’y avait « pas de place pour la médiation entre la légalité et l’illégalité, entre la loi et la désobéissance, entre la démocratie et la tyrannie« . Costume et cravate sombres, l’air grave, Carles Puigdemont, un ancien journaliste de 54 ans, a renvoyé Madrid au résultat du référendum d’autodétermination interdit du 1er octobre, au cours duquel le gouvernement catalan assure que le « oui » l’a emporté à plus de 90%.

Il a souligné la nécessité impérieuse de « réduire les tensions » dans la région, et a dénoncé le refus « radical » de Madrid de négocier un référendum. Les Catalans sont divisés presque à parts égales sur le sujet, mais souhaitent en majorité un référendum en bonne et due forme. La séance devant le Parlement a commencé dans la confusion, retardée d’une heure « en raison de contacts pour une médiation internationale« , selon un porte-parole du gouvernement catalan.

Le gouvernement espagnol a aussitôt souligné, auprès de l’AFP, qu’une médiation avec Carles Puigdemont, le leader séparatiste, n’était « pas envisageable« . Et la rumeur d’une vidéo-conférence avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a été démentie par Bruxelles. Les quelques élus déjà installés dans l’hémicycle pour le discours de M. Puigdemont avaient quitté les lieux, avant de revenir une heure plus tard. La CUP (Candidature d’unité populaire), parti d’extrême gauche qui fait partie de la majorité indépendantiste au Parlement catalan, a laissé planer un bref suspense quant à sa présence avant de rejoindre ses rangs.
Le Parlement était placé sous sécurité maximale et protégé par des dizaines de fourgons de police, alors qu’un hélicoptère de la police catalane tournait dans le ciel.

La présence policière était également renforcée dans les points stratégiques de la ville, notamment les gares et l’aéroport. L’Union européenne, déjà secouée par le Brexit, suit la crise avec inquiétude, ses dirigeants prévenant que l’Union européenne ne reconnaîtrait pas une Catalogne indépendante.

Le président du Conseil européen Donald Tusk avait encouragé Carles Puigdemont à éviter « une décision qui rendrait le dialogue impossible« , redoutant « un conflit dont les conséquences seraient à l’évidence négatives pour les Catalans, pour l’Espagne et pour toute l’Europe« . Le président français Emmanuel Macron avait souhaité une solution pacifique face à ce qu’il a qualifié de « coup de force des Catalans« .

A Madrid, le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy avait laissé entendre ces derniers jours qu’en cas de déclaration unilatérale d’indépendance, il pourrait suspendre l’autonomie de la région, une mesure jamais appliquée dans cette monarchie parlementaire extrêmement décentralisée. Mais il a d’autres instruments à sa disposition. Il a déjà pris le contrôle des finances de cette région pesant 19% du PIB du pays en septembre. Il peut aussi instaurer un état d’urgence allégé lui permettant d’agir par décrets.

Toute mesure draconienne risque cependant de provoquer des troubles en Catalogne, où huit électeurs sur dix auraient souhaité un référendum en bonne et due forme, en lieu et place de celui du 1er octobre. La tension y est déjà extrême, ainsi que dans toute l’Espagne où les vieux fantômes du passé ressurgissent quand parmi les « patriotes » défendant l’unité du royaume se glissent des nostalgiques de la dictature de Francisco Franco (1939-1975).

De nombreuses questions demeurent aussi sur la mise en oeuvre d’une éventuelle indépendance dans une région qui a d’ores et déjà la main sur l’éducation, la santé et la police mais où les finances et le contrôle de l’espace aérien, des infrastructures (ports, aéroports, réseau ferroviaire, télécommunications, etc.) et de l’armée restent entre les mains de l’Etat central.

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