À 29 ans, Fadel Senna risque sa vie pour montrer au monde la réalité des combats contre Daech. En première ligne lors de la libération de Mossoul depuis 3 semaines, le photographe de l’AFP décrit un quotidien fait de drames, de violence, mais aussi de scènes de réconfort. Poignant.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre arrivée en Irak?
Je m’étais déjà rendu en Irak avant le mois de ramadan. À mon arrivée, j’ai rapidement constaté l’avancée des forces spéciales irakiennes. Je me suis directement retrouvé dans la vieille ville, au coeur des combats.
C’était impressionnant et particulièrement violent. Des images me viennent en tête: les morts, et le sang qui coule dans les ruelles ou sous les paliers. Je n’avais jamais vu autant de mort et de sang de ma vie. Mais en quelques semaines, cela s’est presque banalisé à mes yeux.
Vous aviez déjà couvert l’Irak auparavant. Quelle est la différence avec votre premier voyage?
Le terrain. Auparavant, les combats se déroulaient dans des champs ou des collines. Ces affrontements étaient nettement moins violents, et plus sécurisés. Ici les soldats de Daech se battent à travers des trous dans les murs. Les espaces sont beaucoup plus restreints, donc plus dangereux. Il y a quelques jours encore, une grenade a explosé à quelques ruelles de ma position en direction des forces spéciales irakiennes.
À quoi ressemblent vos journées de travail?
Aucune journée ne se ressemble. Généralement, il faut entamer de longues négociations avec l’armée irakienne avant de rejoindre le front. Je pars ensuite soit avec un escadron, soit avec des militaires chargés du ravitaillement. La route est compliquée, car il faut éviter les tirs de mortier et les snipers.
Le soir, je loge à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Auparavant, il me fallait cinq heures de route pour rejoindre le front en contournant les territoires occupés par Daech. Celui-ci ayant particulièrement été réduit, deux heures me suffisent aujourd’hui.
Dans quelle mesure êtes-vous encadré par l’armée irakienne ?
Les militaires sont la plupart du temps à mes côtés. C’est d’ailleurs préférable! Mais il arrive que l’on se retrouve seul. N’oublions pas que ces gens sont avant tout là pour faire la guerre. Quand la situation dégénère, ce qui est souvent le cas, vous imaginez bien que les militaires ont autre chose à faire que de protéger le photographe.
Vos photos sont prises en plein coeur des combats. Comment faites-vous pour vous protéger ?
Dès que l’on entend les balles siffler, il faut illico se cacher derrière un mur, une maison ou un blindé. C’est le premier réflexe lorsque vous arrivez en terrain inconnu: trouver un abri en cas d’affrontement. Cette recherche se fait en amont. Hier (entretien réalisé le 11 juillet, NDLR) par exemple, nous étions dans la ville (Mossoul, NDLR) en plein bombardement. En réponse, les combattants de Daech ont tiré dans tous les sens, à l’aveuglette. Je pouvais entendre l’impact des balles aux alentours. C’est dans ce genre de situations que je me réfugie dans une planque déjà repérée. C’est une bonne technique qui a fait ses preuves.
N’avez-vous pas peur de mourir?
La peur est comme une alerte, il ne faut pas la rejeter. Parfois elle peut vous sauver la vie. Bien sûr qu’il m’est arrivé d’imaginer le pire. Mais lorsque vous êtes dans le feu de l’action, vous n’avez pas le temps de vous arrêter sur ce genre de choses. La peur est un signal. Lorsqu’on la ressent, c’est qu’il faut généralement reculer.
Votre famille n’est-elle pas trop inquiète ?
Pas vraiment. Dans ma famille, nous avons une culture de la guerre. Mon père était lui-même reporter de guerre, et ma mère l’a souvent vu partir dans des zones de guerres. Donc ça va. Ils savent gérer cette inquiétude.
Quels sont vos rapports avec les populations locales?
Les habitants de Mossoul ont un grand coeur. Il faut savoir qu’énormément de civils étaient encore présents dans la ville pendant les affrontements. Daech les utilise comme de véritables boucliers humains. Il n’est pas rare de trouver une famille enfermée dans une pièce, avec un sniper ou un mortier de Daech sur le toit. Lors d’un déplacement avec les forces spéciales irakiennes, nous sommes tombés sur une famille enfermée depuis 15 jours quasiment sans ravitaillement. Cela complique les combats. Sinon, de simples bombardements auraient suffi. L’armée utilise des radars thermiques pour repérer les civils enfermés avant les bombardements. Malheureusement, cela ne suffit pas toujours. C’est la guerre, et malheureusement des innocents meurent.
Et comment ça se passe avec l’armée?
Ils sont toujours heureux de nous accueillir. Leur quotidien est dur. Je suis sur le front quatre heures par jour alors qu’ils y sont 24 heures sur 24. Lorsqu’ils voient quelqu’un de l’extérieur, ça leur réchauffe le moral. Ils sont heureux que des journalistes puissent relayer leur courage dans la bataille. Je les considère comme de véritables héros.
La presse internationale reprend à l’unisson le terme de « libération » concernant Mossoul. Ce qui contraste avec les images de désolation offertes par les bombardements. Comment l’opération militaire est-elle concrètement vécue par les habitants sur le terrain?
C’est une question difficile. Lorsqu’un civil est évacué des combats, il ne se plaint pas. Dans le cas contraire, cela pourrait être interprété comme de la sympathie pour Daech. Il faut donc prendre cette question avec des pincettes. Les gens sont frileux. Ils ne veulent surtout pas être associés à des soldats de Daech. Je dirais que oui, c’est clairement une libération, même si celle-ci a un prix…
Selon vous, lequel de vos clichés symbolise le mieux le conflit ?
Celui de cette petite fille avec un regard noir… On sentait qu’elle revenait de l’enfer. C’est un cliché tout simple, mais qui parle énormément. Je voyais cette petite fille avec de la poussière sur le visage et un regard noir. Elle ne pleurait pas, mais on voyait clairement qu’elle revenait de loin.
Vous avez également photographié une autre fillette, cette fois-ci embrassée par un soldat irakien. Pouvez-vous nous la contextualiser ?
C’était le jour de l’annonce de la libération de la ville. Il se trouve que certaines poches de résistances ont persisté, mais une unité de la police fédérale qui avait terminé son secteur célébrait déjà la victoire. Une petite fille du quartier était là avec un drapeau. Son père venait remercier les unités de la police fédérale. J’ai commencé à la photographier et puis un soldat est venu l’embrasser. J’ai saisi le cliché.
Quels sont vos projets en Irak maintenant que les combats sont terminés ?
Je vais continuer de couvrir l’après-guerre pour l’AFP. J’imagine qu’il s’agira surtout du retour des civils, de la reconstruction et du ratissage de quelques zones où sont encore présents des snipers. Mais avant tout : la reconstruction.
N’avez-vous pas peur d’être marqué par la guerre à votre retour ?
Je sais que lorsque je vais revenir chez moi, ce sera un moment très agréable (rires). Je ne pense pas que je vais rentrer trop abimé par ce que j’ai pu voir en Irak. Mais clairement, je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vécu ici.
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