Voici plus de cent jours que le Maroc ne dispose pas de gouvernement issu des dernières élections. Dans de nombreuses démocraties occidentales, quand il s’agit de gouvernement, 100 jours correspondent à de l’action, à des efforts et des mesures immédiates pour donner le rythme à l’ensemble du pays et à ses institutions économiques et politiques. Mais au Maroc, cette durée correspond à des conciliabules, des communiqués et contre-communiqués et des effets de manche et de théâtre. Ce n’est pas grave, en Occident ils ont les calendriers précis et fonctionnels, et nous on a le temps, tout notre temps. On pourrait arguer que dans d’autres pays, non moins démocratiques, on a mis des mois pour pouvoir former des gouvernements et faire dégager des majorités qui les soutiennent. Un argument acceptable et plausible. Sauf que dans ces États, les situations de blocage découlent de véritables clivages politiques et idéologiques. En Espagne, l’effondrement du bipartisme et l’éruption de Podemos et des partis nationalistes ont rendu difficile la formation d’une alliance qui puisse satisfaire toutes les obédiences et les sensibilités politiques. Chez nos voisins du nord, pour dégager une majorité, on a discuté de programmes économiques, de mesures concrètes à entreprendre, de chiffres, d’intérêts de classes sociales… Bref, de tout ce qui a manqué au Maroc pendant ces cent jours.
“Absurde !” est le mot qui revient très souvent dans les discussions pour commenter la situation de blocage. Au sein de l’opinion publique, les états d’âme et les appréciations se succèdent et ne se ressemblent pas. On est donc passé de la curiosité, en voyant le défilé des chefs politiques reçus par un Benkirane confiant, à l’intérêt, avec l’arrivée d’Akhannouch dans les négociations, puis le suspense, en observant la partie d’échecs entre Benkirane et le nouveau patron du RNI, et enfin à la consternation, face à l’état actuel des choses. Au sein de cette opinion publique, il existe une incompréhension totale à l’égard du blocage qui frappe les institutions politiques du pays. Personne, même au sein de l’élite politique et des commentateurs de l’actualité nationale, n’arrive à donner un sens, une rationalité ou une analyse qui résiste plus d’une semaine aux événements de ces derniers mois. Une situation qui ouvre la voie aux spéculations et aux extrapolations qui ne font qu’ajouter du désarroi à l’incompréhension.
La seule certitude dans ce fatras de faits et d’épisodes est qu’aucun homme politique n’en sortira grandi. La première victime n’est autre que cette fragile construction démocratie qu’on essaye de mettre en place depuis une dizaine d’années. Il ne faut pas être grand philosophe ou éminent politologue pour savoir que les instituions démocratiques d’un pays puisent leur légitimité et leur pouvoir dans la confiance des citoyens. Elles sont solides et fonctionnent durablement quand les gens croient en leur utilité et leur nécessité. Mais elles s’effondrent comme des châteaux de cartes quand elles sont vidées de leur substance et qu’on cesse de leur accorder crédibilité et représentativité. “Est-ce qu’on a vraiment besoin de gouvernement ?”, “A quoi servent donc les élections ?”, et “Nos parlementaires sont-ils payés pour être en vacances ?” sont les questions qui reviennent souvent en cette période. Des interrogations qui n’augurent rien de bon. En 100 jours, on risque de miner et saborder ce qui a été construit pendant des années.