Un discours inoubliable. C’est avec une dégaine badass et une émotion palpable que la réalisatrice française d’origine marocaine Houda Benyamina a reçu la Caméra d’or pour son premier long métrage Divines, le 22 mai. Ses déclarations féministes coup-de-poing et ses youyous en plein Palais des festivals ont fait voler en éclats le cérémonial convenu de la clôture du Festival de Cannes. « Cannes c’est à nous », s’est-elle écriée. Mais c’est son apostrophe au délégué général de la Quinzaine Edouard Waintrop « t’as du clito » – une réplique tirée de son film – qui restera dans les annales. La presse est conquise, mais les réseaux sociaux sont divisés, entre félicitations enthousiastes de fans comme Jamel Debbouze et commentaires haineux de ceux qui jugent son discours « vulgaire et communautaire. »
Divines banlieusardes
Divines est un drame « humaniste » et non pas un énième « film de banlieue » insiste la réalisatrice de 35 ans. Son premier long métrage (avec la participation de l’actrice marocaine Majdouline Idrissi) raconte l’histoire de Dounia et Maimouna. Dounia décide de s’acoquiner avec une dealeuse de drogue, mais sa rencontre avec un jeune danseur va bouleverser sa vie. « Ce film est une étape importante après un long combat », nous explique Houda Benyamina. Et d’ajouter, toujours aussi frondeuse, que « recevoir la Caméra d’or, c’est une reconnaissance pour moi, cinéaste qui vient des classes populaires et non pas du sérail. Cannes est à nous aussi ! »
Elle a ramé. Si, aujourd’hui, Houda est sous les feux de la rampe, le « dragon », comme aime à l’appeler l’équipe de tournage de Divines, a dû ramer avant d’y arriver. Née en 1981 près de Paris, dans une famille modeste, elle se révolte dès son adolescence : « J’étais en colère, car je subissais le racisme quotidiennement. » Du côté du foyer familial (elle a 13 frères et sœurs), l’ambiance est moins tendue. Exit le cliché de la jeune fille d’origine maghrébine oppressée par le « patriarcat arabe » : elle nous fait remarquer qu’il est « impossible » de lui imposer quoi que ce soit. Élève survoltée, et bien que portée sur le théâtre et la littérature, elle est orientée vers un CAP coiffure, une formation professionnelle. Qu’à cela ne tienne, une fois débarrassée des bigoudis, elle passe – et obtient – un bac littéraire. La jeune fille intègre ensuite l’École régionale d’acteurs de Cannes (ERAC). Mais la comédienne est vite coupée dans son élan : « On me proposait toujours des rôles de beurette, c’est ce qui m’a poussée à écrire. » Elle passe donc derrière la caméra et participe dès 2006 à la création de l’association « 1000 visages », dont le but est d’injecter plus de diversité – en le « démocratisant »– dans le cinéma français.
Prophète en ses deux pays
Houda Benyamina n’est pas une novice, elle a réalisé neuf courts métrages. Ma poubelle géante est d’ailleurs sélectionné en 2009 au festival du court métrage méditerranéen de Tanger : « Je tiens à le dire, c’est au Maroc que j’ai été en premier lieu reconnue ». Et deux ans plus tard, Sur la Route du Paradis, moyen métrage qu’elle a co-écrit et réalisé, est primé dans le même festival. Celle qui nous parle dans une darija nickel tout droit sortie de Derb Kabir (sa mère a vécu dans ce quartier de Casablanca) finit par nous dire : « Quand j’étais adolescente, je ne me considérais pas comme marocaine ou française, mais en grandissant j’ai pris le meilleur de la France et le meilleur du Maroc. »
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