Abdelilah Benkirane, aujourd’hui Chef du gouvernement, s’est fait à la cravate, accessoire indispensable pour asseoir sa respectabilité. Saâd-Eddine El Othmani en passant par Mustafa Ramid, ne dénotent pas dans le décor d’une élite islamiste, parfaitement intégrée à l’establishment politique. Leur foyer originel, le PJD, s’est lui-même bien assagi, peuplé de cadres sages comme des images, à l’instar du député Abdelmalek Zaâzaâ ou El Amine Boukhoubza. L’effet de l’âge sans doute, le poids des années qui a frappé cette génération de pionniers qui ont porté sur les fonts baptismaux la formation islamiste en 1998. Et pourtant, il fut un temps où tous ces caciques du PJD ont goûté à l’illégalité, membres d’organisations clandestines ou tolérées dans le meilleur des cas. Ils ont frôlé la correctionnelle pour certains, tandis que d’autres n’hésitaient pas à aller à l’affrontement avec leurs opposants politiques. C’était dans une autre vie, dans un autre siècle et un autre millénaire. Les années 1970… Les futurs leaders du PJD, encore jeunes lycéens ou étudiants, sont tous passés par une matrice : la Chabiba Islamiya de Abdelkrim Moutiî. Précurseur de l’islam marocain à finalité politique, ce dernier leur a ouvert les portes de son organisation dès sa création en 1971. Ils y sont entrés sans se faire prier. Benkirane, Ramid, Baha, El Othmani et beaucoup d’autres chefs de file islamistes ont fait leurs premières armes au sein de la Chabiba. Et leur premier combat au sein de cette organisation a été de lutter contre la présence de la gauche marxiste et laïque qui peuplait, dans les années 1970, les lycées et les universités marocains. Chacun à sa manière, ils ont mis la main à la pâte, encadrés par une Chabiba Islamiya qui avait reçu l’aval de Hassan II pour contrer les sensibilités d’extrême gauche dominant la jeunesse marocaine “éclairée”.
La chasse au rouge
Selon le principe que les ennemis de mes ennemis sont mes amis, Moutiî file un coup de main à Hassan II. Désirant prendre le mal à la racine, à savoir contrer les idées marxisantes et laïques auprès des jeunes esprits en formation, il fonde en 1972 une organisation secrète : Harakat Achabab Al Mouslim (Le mouvement des jeunes musulmans). Composée d’élèves des établissements scolaires du secondaire, l’organisation mène des grèves à répétition en 1973 pour réclamer des programmes d’enseignement conformes aux préceptes de l’islam et de la Charia. Pour Moutiî, tous les coups sont permis pour embrigader de plus en plus de jeunes. Il ordonne ainsi à des membres de la Chabiba de brûler un tapis dans une mosquée casablancaise, avant d’en imputer la responsabilité aux étudiants de gauche. L’astuce marche du feu de dieu, des jeunes choqués par ce sacrilège rallient la Chabiba pour lutter contre les “mécréants marxistes”. Dès le lycée, des cadres de la Chabiba prennent en main leurs disciples, les astreignant à des réunions hebdomadaires avec des enseignants qui leur professent des cours de morale. C’est ainsi que, formés adolescents à la guerre idéologique, certains futurs cadres du PJD combattent sur les instructions de la Chabiba les idées de gauche qui profilèrent dans les esprits adolescents. Feu Abdellah Baha, à l’instar de Saâd-Eddine El Othmani et Mohamed Yatim, se sont ainsi opposés aux grèves des lycéens qui avaient débouché sur une année blanche en 1972. Pour beaucoup, la bataille des lycées s’est poursuivie sur le terrain universitaire tout naturellement
La découverte d’un autre Maroc, n’ayant cure de l’islam, SaâdEddine El Othmani y a aussi été confronté. Issu d’un milieu dont la religion constituait les fondements, il a été consterné, en arrivant à Rabat pour ses études de médecine, par l’indifférence de ses condisciples à l’égard de l’islam. Homme de réflexion plutôt que d’action, il n’est pas parti à l’affrontement physique, mais s’est évertué à lutter par le verbe contre l’athéisme des étudiants de gauche.
Le naturel revient au galop
Alors que le combat pour contrôler les campus par tous les moyens possibles bat son plein, survient l’évènement le plus troublant dans l’histoire de la Chabiba. L’assassinat du leader de l’USFP, Omar Benjelloun, assassiné en 1975 par des membres de l’organisation islamiste. Moutiî, niant être impliqué, part en exil, laissant ses ouailles dans l’expectative. Faut-il le suivre dans ses velléités de lutte armée ? Ou couper les ponts avec lui et choisir la légalité ? Cette dernière option l’emporte. Mais l’héritage anti-gauchiste de la Chabiba perdure tout de même. Près d’une décennie plus tard, dans les années 1980, le combat des islamistes pour éradiquer les marxistes des universités et halaliser les mœurs estudiantines n’a pas faibli d’un iota. Abdelmalek Zaâzaâ, futur cacique du PJD, en est un bon exemple. Aujourd’hui spécialiste des droits de l’homme au sein du parti islamiste, il n’a pas toujours respecté les libertés individuelles les plus élémentaires. A l’orée des années 1980, aidé de compères de la Chabiba, Zaâzaâ investit manu militari la chambre d’un étudiant qui recevait sa copine. L’étudiant, effrayé par cette intrusion violente, dissimule son amie dans l’armoire. Zaâzaâ et ses acolytes cassent les portes de l’armoire pour en extirper la jeune fille en pleurs. Ces raids anti-gauchistes sont l’occasion de tester la motivation des recrues. Ceux qui font leurs preuves sont promus encadrants, gardiens de la ligne de conduite stricte de la Chabiba. Quitte à frôler le crime de lèse-majesté comme El Amine Boukhoubza, aujourd’hui homme clé du PJD au Nord. Etudiant boursier en Egypte, il a boycotté en 1984 une cérémonie organisée à l’occasion de la fête du trône à l’ambassade du Maroc. La raison ? On y servait de l’alcool. A son retour au pays, Boukhoubza est intercepté à l’aéroport de Casablanca et interrogé sur le motif de son absence aux festivités. Droit dans ses bottes, et malgré plusieurs heures d’interrogatoire, Boukhoubza n’en démord pas : sa seule présence à une cérémonie où l’on sert de l’alcool aurait mis à mal toutes ses convictions. Aujourd’hui, tout comme ses frères des années 1970, il n’est pas près d’abandonner le combat de sa jeunesse. Mais tout comme Benkirane et consorts, il s’est juste assagi.
Ils font le PJD |
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Abdelilah BenkiraneDu rouge au vertIl est né en 1954 à Rabat au sein d’une famille nombreuse. Il grandit avec une foultitude de demi-frères et de demisœurs, son père ayant épousé quatre femmes. A 16 ans, il devient orphelin de père, un vide que sa mère comble en le gâtant. Il mène une vie ordinaire d’adolescent, fumant à l’occasion des “mini-Casa”. Au lycée Moulay Youssef, il se rapproche de l’extrême gauche et prend part à toutes les manifestations, sans toutefois adhérer à aucune structure. Ses camarades, qui trouvent ça louche, le suspectent d’être un infiltré. Dès 1972, il prend ses distances avec les milieux d’extrême gauche, mais garde de solides liens avec les jeunes militants de l’UNFP, Mohamed Sassi en tête, avec qui il crée la section d’une association de jeunes à Yaâcoub El Mansour. Sans jamais avoir été encarté, Abdelilah Benkirane est un Ittihadi de cœur. Il participe notamment au congrès fondateur de l’USFP en 1975. Il vire sa cuti peu de temps après, suite à sa rencontre à Immouzer avec Abderrahmane Benmoussa, un alem reconnu dans les milieux islamistes. Ce dernier lui présentera en avril 1976 des membres de la Chabiba Islamiya. Il lui donnera également un ouvrage qui marquera le jeune Benkirane, Maâlim Fi Attarik (Signes sur la voie), l’un des livres fondateurs de la pensée des Frères musulmans. Benkirane le dévore en une nuit et, au petit matin, en ressort changé. Dans la foulée de la vague d’arrestations d’islamistes en 1976, Benkirane est condamné à deux ans de prison. Il ressort des geôles de Hassan II encore plus convaincu de ses choix politiques, même si son incarcération le contraint à abandonner ses études à l’Ecole mohammadia des ingénieurs (EMI ). Il devient un homme incontournable de la mouvance islamiste, servant de recruteur pour la Chabiba Islamiya lors de ses prêches dans les mosquées des cités universitaires de Rabat. Il est l’un des plus ardents dé- fenseurs de la rupture avec Abdelkrim Moutiî, un divorce qui aboutira à la création de la Jamaâ Islamiya dont il contribuera activement à poser les bases idéologiques et organisationnelles. Saâd Eddine El OthmaniLe rat de bibliothèqueI l voit le jour près d’Inezgane en 1956, dans une famille d’érudits. Ses aïeux ont même droit à plus de 160 pages dans le cé- lèbre livre Al Maâssoul de Mokhtar Soussi, figure de la lutte contre le protectorat. Enfant, Saâd-Eddine El Othmani passe le plus clair de ses journées dans la bibliothèque paternelle. Ses économies, il les dépense en achetant des livres durant les vacances d’été qu’il passe à Casablanca. Son rêve de jeunesse ? Devenir médecin. Au lycée, il publie même des articles sur le cancer et le diabète dans une revue tunisienne. Son bac en poche, il part à Casablanca pour des études en médecine, avec pour objectif de se spécialiser en psychiatrie. Il ne cède pas aux tentations de la métropole, son seul but étant de réussir son cursus universitaire. Studieux, il s’inscrit en parallèle à Dar Al Hadith Al Hassania. Quand il rejoint les rangs de la Chabiba Islamiya en 1978, il a déjà saisi les enjeux de l’époque et s’engage dans le travail de réflexion collectif pour tourner la page Abdelkrim Moutiî. Au sein des jeunes pousses de la mouvance islamiste, il fait déjà office de premier de la classe, si bien que les textes fondateurs de la Jamaâ Islamiya portent sa trace. L’âge du mariage se profilant à l’horizon, il tient absolument à épouser une étudiante inscrite en études islamiques. Une fois son choix fait, il envoie une lettre de demande en mariage à sa future dulcinée. Carré, sans trop de sentiments ni blabla, sa marque de fabrique qu’il imposera au sein du futur PJD.
Mustapha RamidL’homme des grottesIl est né à Oulad Sidi Bouhya (région d’El Jadida) en 1959. Il déménage chez son oncle dans le quartier de Hay Al Farah, à Casablanca, pour poursuivre ses études. C’est sur les conseils d’un instituteur qu’il rejoint la Chabiba Islamiya, en 1974. Le jeune islamiste participe aux réunions clandestines de l’organisation, qui se tiennent dans des maisons discrètes où Abdelkrim Moutiî et Brahim Kamal, son adjoint, viennent retrouver les militants au milieu de la nuit. Ramid qualifie ces lieux discrets de “grottes”. Le jeune militant islamiste est alors l’un des rares membres de la Chabiba à avoir le privilège d’être reçu par Moutiî à son domicile de Ben Jdiya à Casablanca. Cet honneur ne l’empêche pas, en 1978, de demander à Moutiî des explications sur l’allégeance que l’émir impose à sa mouvance. Refusant cette remise en cause de son autorité, Moutiî exclut Ramid de son organisation. Le futur ministre de la Justice décide de continuer à militer au sein de la Faculté de droit. Avec d’autres étudiants, il crée l’Organisation des étudiants musulmans et entre en confrontation directe avec les militants de gauche. Ramid, qui préside la prière du vendredi pour ses ouailles de la fac, dirige le groupe estudiantin islamiste depuis son QG : un local modeste, sa fameuse “chambre 90”, à la cité universitaire. Son premier coup d’éclat remonte à 1980 quand il organise le premier Festival islamique au sein de l’université. Il y initie même une exposition de vêtements islamiques destinés aux femmes, avec l’aide d’un tailleur qu’il connaît bien. L’initiative de Ramid ne tarde pas à porter ses fruits. Pour la première fois au sein de la fac, deux étudiantes adoptent le voile. Elles sont félicitées par la jeune Nadia Yassine, venue les soutenir. Lors de sa visite, cette dernière se fait agresser par un étudiant d’extrême gauche. Ramid ordonne de châtier l’insolent “ennemi de Dieu”, qui est passé à tabac. Jeune avocat débutant, il refuse de plaider dans des affaires de mœurs, choisissant de travailler à l’œil pour un cabinet juridique à condition qu’on l’exempte des délits sexuels. Faute de gagner sa vie, il survit grâce au salaire de sa femme institutrice, de modestes émoluments se montant à 1400 dirhams par mois. Fasciné par la presse, Ramid lance le magazine Assabil en 1990. La publication est interdite dès le premier numéro pour avoir demandé des comptes sur le budget consacré au Palais dans la Loi de Finances. Ahmed RaissouniDe menthe et d’eau fraicheI l voit le jour en 1953 dans la région de Larache. Ce chrif vit une enfance difficile au sein d’une famille nombreuse. Nassérien comme la plupart des adolescents de son âge, il choisit l’islam politique après la défaite de l’Egypte dans la Guerre des six jours, en 1967. Ses convictions poussent sur un terreau fertile. Au lycée, son professeur d’arabe n’est autre que Bachir Younssi, le fondateur au Maroc du mouvement Tabligh (organisation de prédication). Ce dernier remonte notamment Raïssouni contre un collègue, feu Salem Yafout, obscur professeur de philosophie à l’époque, que Younssi accuse d’apostasie. “Raïssouni était une sorte d’ascète qui lisait tout le temps”, se souvient l’un de ses proches. Au lycée, il cueille de la menthe sauvage dans les montagnes et en extrait une huile essentielle qu’il revend à des sociétés pharmaceutiques, pour subvenir à ses besoins. “C’est quelqu’un qui craignait Dieu dans tous les aspects de sa vie”, affirme un parent de Raïssouni. Ce qui explique son rejet des études de droit, filière d’excellence à l’époque, car il ne veut pas finir juge ou avocat, professions synonymes de corruption. Il s’inscrit donc en philosophie, mais déchante vite car cette matière n’offre aucun débouché selon lui. Or Raïssouni veut impérativement se marier jeune pour ne pas tomber dans le péché. Pour convoler en justes noces et avoir les moyens de bâtir un foyer, il abandonne ses études et accepte un poste de rédacteur au ministère de la Justice. Au sein du mouvement Tabligh qu’il a rejoint, Ahmed Raïssouni se sent vite à l’étroit, préfé- rant prendre son essor dans une structure à vocation politique plutôt que se cantonner à la prédication. Il trouve son bonheur au sein de la Chabiba Islamiya dont il a rencontré le chef, Abdelkrim Moutiî, en 1973. Arrêté en 1976 pendant une vingtaine de jours pour ses activités au sein de la Chabiba, il décide d’abandonner la clandestinité pour agir dans la légalité. Il sera en ce sens un précurseur parmi les islamistes. Raïssouni fonde ainsi l’Association islamique de Ksar El Kébir, qui ne tarde pas à être reconnue par l’Etat. Il participe dès lors aux efforts pour l’unification des mouvances islamistes, même s’il ne porte pas dans son cœur l’un des leaders de ces groupes, Abdelilah Benkirane. Entre les deux hommes la méfiance est totale, ancienne, et dure encore. Mohamed YatimLe Coran, le foot et les pigeonsIssu d’une famille d’origine sahraouie, il est né à Casablanca en 1956. C’est un oueld Hay Sidi Othmane. Son père, homme à tout faire, travaille dans une coopérative de céréales. Sa mè- re file la laine pour compléter les revenus de la famille. Le petit Mohamed, lui, est exoné- ré de toutes les corvées qu’on confie à un gamin de son âge. On le laisse se consacrer à l’apprentissage du Coran, dont il a déjà appris une bonne partie du haut de ses dix ans. Son savoir religieux lui vaut d’être surnommé “le fkih” ou encore “chrif” par sa famille. Le jeune Yatim a deux autres passions : le foot et les pigeons. Doué pour le ballon rond, il ambitionne un temps d’intégrer le Raja, avant de laisser tomber. Il délaisse aussi la centaine de pigeons qu’il élève et les confie à son frère cadet. Yatim n’en a plus cure car il a décidé de se consacrer entièrement à ses études. Il fréquente assidûment l’Institut français de Aïn Borja, où il découvre Voltaire et Montesquieu. En 1974, un professeur d’arabe le convainc d’intégrer la Chabiba Islamiya. Ce qui l’oblige à s’inscrire en philosophie à la Faculté de Rabat, puis à Fès, conformé- ment aux directives de l’organisation, qui place ses pions dans tout le royaume pour assurer le recrutement. A la fin des années 1970, Yatim manque d’être arrêté à Kénitra pour avoir distribué des tracts de la Chabiba I slamiya. En 1978, il est dépê- ché à La Mecque par l’organisation pour tâter les intentions de Abdelkrim Moutiî, alors en exil en Arabie Saoudite. Moutiî prend très mal la chose et, quelque temps après cette mission, accuse Yatim de rouler pour les services secrets marocains. Quand l’idée de créer une nouvelle structure pour succéder à la Chabiba commence à prendre corps, en 1981, Yatim est choisi pour la diriger. Avec l’aide précieuse de Saâd-Eddine El Othmani, il prépare notamment la plate-forme de cette nouvelle entité qui prendra le nom de Jamaâ Islamiya. Mohamed HamdaouiLe planificateurNé à Kénitra en 1957, il est tombé dans la religion dès son jeune âge. La mosquée jouxte la maison de la famille et c’est son grand-père qui réveille, successivement, le muezzin et l’imam pour la prière d’Al Fajr. Adolescent, il fréquente un groupe de jeunes qui font régulièrement leurs prières. “Il y avait parmi nous des jeunes qui fumaient, mais ils ne dérogeaient jamais à la règle consistant à faire ses prières à l’heure”, se souvient le président du Mouvement unicité et réforme (MUR). Musulman pratiquant sans affiliation politique, Hamdaoui rejoint la Chabiba Islamiya après avoir été recruté par Noureddine Dakir, puis envoyé dans le nord pour repérer des jeunes tentés de rejoindre l’organisation. Parti faire ses études à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) en 1979, Hamdaoui atterrit en terrain connu : Abdellah Baha, déjà passé par là, a teinté de vert cette institution. Devenu rbati, Mohamed Hamdaoui rencontre pour la première fois Abdelilah Benkirane à la mosquée de la cité universitaire Souissi, comme la plupart des jeunes leaders islamistes de l’époque. Sa formation d’ingénieur lui offre la possibilité de voyager à l’étranger, où il enchaîne les stages et acquiert une solide expérience en matiè- re d’organisation de débats et rencontres. Il mettra ce savoir en pratique en s’activant en coulisses pour aplanir les divergences, lors du conclave tenu près de Rabat en 1983, qui donnera naissance à la Jamaâ Islamiya. El Amine BoukhoubzaLa recrue de BenkiraneN é en 1956 à Té- touan, il est aujourd’hui un homme clé du PJD dans la ré- gion du Nord. Adolescent, il est attiré par la Zaouïa Harrakiya, mais se ravise vite. Il dit avoir été choqué par les rituels des membres de cette confrérie qu’il a observés lors d’une visite à Meknès, à l’occasion du Moussem de Moulay Driss Zerhoun. Avec d’autres lycéens tétouanais, il s’attache à étudier les œuvres fondatrices de la pensée des Frères musulmans. Ce qui lui vaudra sa première convocation par la police, suite à un article de Ali Yata dans Al Bayane qui dénonçait les activités de Boukhoubza au sein de son lycée. Abdelkrim Khatib prend sa défense dans les colonnes de Al Maghrib Al Arabi. Suite à cette publicité involontaire, El Amine Boukhoubza sort de l’anonymat et attire les regards des recruteurs des différentes mouvances islamistes. Mostafa Moaâtassim (futur SG de Al Badil Al Hadari) tente ainsi de l’enrôler, sans succès. Deux ans plus tard, en 1976, Abdelilah Benkirane, qui veut aussi s’attacher les services de Boukhoubza, prend langue avec lui. “Tu n’es pas fait pour être encadré, mais pour encadrer”, lui assène le jeune Benky. Sur ces bonnes paroles, le futur Chef du gouvernement l’embarque sur sa moto et l’invite chez lui dans le quartier Akkari, à Rabat. Un couscous et des verres de thé plus tard, le courant passe clairement entre les deux hommes. El Amine Boukhoubza rejoint le team barbu de Benkirane et devient vite un homme incontournable de la Chabiba Islamiya. Il encadre tous les établissements scolaires et universitaires de Rabat-Salé. Boukhoubza jouera aussi un rôle déterminant dans le divorce avec Abdelkrim Moutiî. En 1981, il part en Espagne pour rencontrer le cheikh de la Chabiba. Mais entretemps, ce dernier s’est ré- fugié en Libye. La rencontre au sommet a finalement lieu au téléphone. Boukhoubza reste pendu au bout du fil plus de sept heures pour mettre les points sur les i avec Moutiî. Suite à ce long entretien, Boukhoubza enchaîne pas moins de 70 réunions à travers le pays pour expliquer que le vieux cheikh veut passer à l’action armée. Le tournant révolutionnaire n’est pas au goût des membres de la Chabiba, en quête de légalité. Ils décident de couper les ponts avec Moutiî.
Mokri’e Idrissi AbouzidLe cobayeT out le monde le prend pour un Jdidi de souche, mais il est né à Marrakech en 1960 avant de déménager à Berrechid, puis El Jadida. Mokri’e Idrissi Abouzid intègre la Chabiba Islamiya à l’âge de 16 ans à peine, sans avoir jamais rencontré les sergents recruteurs de l’organisation. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1978, qu’il fera la connaissance de quelques leaders charismatiques de la Chabiba, à l’instar d’El Amine Boukhoubza. En 1979, une réunion avec Azzedine Toufik, un vieux de la vieille de l’organisation islamiste, achève de le convaincre qu’il a choisi la bonne voie. “J’ai assisté à une réunion avec lui. Cela a été à mes yeux comme une nouvelle naissance”, té- moigne Abouzid. En 1981, c’est lui qui est chargé de convaincre les bases de rompre définitivement avec Moutiî et d’intégrer la nouvelle structure en préparation, la Jamaâ Islamiya. Son don d’orateur y est pour beaucoup. Devenu responsable national de la section des étudiants dès 1987, Abouzid est choisi pour se présenter aux élections législatives partielles de 1994 à Oujda. Il doit servir de mètre étalon pour sonder l’attitude des autorités et des électeurs quant à l’option électorale islamiste. Il s’y présente au nom du parti Achchoura et se classe deuxième, après l’Istiqlalien Abderrahmane Hejira. En parallèle, il sillonne le Maroc pour les besoins de la prédication. Fort en gueule, il est chargé de contrer les rivaux politiques de la mouvance islamiste et convaincre d’éventuels alliés. C’est ainsi qu’il prend part aux rencontres, sans lendemain, de la Chabiba Islamiya avec l’Istiqlal. Abouzid est aujourd’hui une figure centrale du PJD dans la région d’El Jadida.
Abdelmalek Zaâzaâ Le droit-de-l’hommiste des islamistes
Avocat de profession, il est l’un des caciques les moins médiatisées du PJD. Pourtant, Abdelmalek Zaâzaâ est très actif sur le front des droits de l’homme. Né dans la région de Safi, en 1957, il s’engage dans les rangs de la Chabiba en 1974, abandonnant pour l’occasion son amour pour le mouvement hippie, Jil Jilala, Nass El Ghiwane et Vigon. De ses années collège, ne subsistera que sa passion pour la moto. En 1976, avec d’autres lycéens, il crée “Jamaât Assounna”. Lors d’un été à Marrakech, il passe tout son temps à squatter la terrasse du fameux Maghraoui, chef d’une association salafiste. A la fin du secondaire, il dé- barque à Casablanca pour ses études. Là, comme tout bon Pjdiste en devenir, il est pris en main par Mustafa Ramid. Abdelmalek Zaâzaâ, comme d’autres militants de la Chabiba, connaîtra les affres de la clandestinité. A la fin de l’année 1981, il finit par se livrer aux autorités quand il apprend que la police est venue menacer sa mère, alors en plein accouchement. Relâché, il se fait arrêter à nouveau en 1984. Interrogé à la préfecture de police de Casablanca, il ne se démonte pas et endosse même le rôle d’imam pour les policiers qui prient. “Un jour, l’un d’eux a demandé s’il était illicite de prier derrière quelqu’un qu’on interroge”, se souvient Zaâzaâ. Une fois relâché, il désire faire son service civil au ministère de l’Intérieur, en compagnie de sa femme. Sa demande est refusée parce que son épouse porte le niqab ! Approché par les services de renseignement, en recherche de taupes au sein des islamistes, il décline l’offre. Il devient tout naturellement l’un des dirigeants de la Jamaâ Islamiya à sa création.[/encadre] |
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