L’apport berbère à la culture islamique semble malheureusement moins connu que celui des Perses ou des Turcs… Dans un ouvrage en anglais à paraître en août, The Almoravid and Almohad Empires, l’historienne Amira Bennison, entre autres professeur à Cambridge, revisite le legs des empires berbères Almoravides et Almohades à la culture islamique. Ici, les mots « islamique » et « berbère » ne sont plus antinomiques. Chaque culture a nourri l’autre, à en croire l’historienne.
Telquel.ma: Pourquoi l’apport berbère à la culture islamique semble si méconnu ?
Amira Bennison: L’apport berbère est relativement peu connu parce que ces derniers n’ont pas une histoire pré-islamique renommée. Par ailleurs, très vite, les berbères éduqués ont écrit en arabe et sont devenus membres d’une élite islamique au Maghreb. Enfin, « berbère » est une étiquette particulière. En effet, les tribus dites « berbères » à l’époque médiévale ne se voyaient pas comme un seul et même peuple. Même des auteurs comme Ibn Khaldun qui a participé à identifier les Berbères en un large groupe subdivisait ce dernier en différents peuples. L’idée que les Amazighs constituent une nation est moderne.
Pourtant, cet apport à la culture ou à l’organisation étatique est réel selon vous ?
Les Almoravides et les Almohades étaient de grands mécènes de la culture. Ils ont parrainé des philosophes, comme Ibn Rochd. Ils ont promu l’islamisation et l’urbanisation dans un Maghreb rural. Il ont développé une architecture régionale particulière, qu’on peut toujours admirer à la Koutoubia de Marrakech ou la Giralda de Seville. Sur un autre plan, les Almoravides ont créé la première administration impériale du Maghreb occidental. Les Almohades ont continué à construire sur ces fondations pour créer un système administratif, allant de Cordoba à Tunis.
Et selon vous, sur le plan religieux, les deux empires ont aussi apporté à l’islam ?
Les Almoravides ont été des champions du droit maliki qui leur a fourni un cadre juridique impérial et une raison religieuse pour mener le jihad contre les autres tribus et les communautés kharijite ou chiite. Les Almohades ont développé une nouvelle théologie basée sur l’idée que Ibn Toumert était le Mahdi et que tout le monde devait souscrire à son message, présenté comme renouvellement du monothéisme pur (tawhid). Ils ont sévèrement critiqué les Almoravides, notamment pour leur anthropomorphisme, qui était un moyen de suggérer qu’ils étaient trop ignorants et naïfs pour interpréter les versets du Coran métaphoriquement.
Ces deux empires avaient-ils de l’influence sur les autres peuples musulmans ?
Les Almoravides et les Almohades étaient connus dans le Moyen-Orient. Ils sont décrits dans les histoires orientales telles que Al Kamil fi al Tarikh d’Ibn Al Athir, ou Nihayat al Arab de Al Nowaïri. On dit que le fameux Al Ghazali aurait envisagé de chercher un emploi chez les Almoravides. Ces derniers ont aussi obtenu une sorte de lettre d’investiture de « lieutenants » du califat Abbasside dans les années 1090. Quand aux Almohades, ils étaient l’empire islamique le plus puissant de leur époque et Saladin leur envoya des ambassadeurs pour leur demander une assistance navale contre les croisés.
Votre ouvrage contredit les discours qui opposent « culture islamique » et « culture berbère » ?
Pour la période médiévale couverte par le livre, ça n’aurait pas de sens de séparer « culture islamique » et « culture berbère » alors qu’il y a eu une rencontre entre les deux et que les gens ne pensaient pas en des termes si binaires. Les Berbères ont conservé beaucoup d’éléments de leur culture, tout comme l’ont fait les Perses ou les Turcs.
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