Il est tentant de résumer les débats de société au Maroc à une opposition entre deux modèles irréductibles : modernistes contre conservateurs. On devrait ainsi lire l’actualité à travers ce prisme-là. Les premiers voudraient des terrasses où l’alcool coulerait à flots. Ils renieraient la langue et la civilisation arabes et prôneraient un mode de vie basé sur la fornication et le libertinage. Quant aux seconds, ils rêveraient de mosquées bondées à chaque coin de rue. Ceux-là seraient arc-boutés dans leur défense d’une culture sclérosée et patriarcale, défendant au contraire une société purifiée de tout ce qu’ils estiment être un vice, de l’homosexualité à la mini-jupe.
Ridicule ? Peut-être. Ce manichéisme s’impose pourtant dans nos réflexes discursifs. Les caricatures ont la peau dure. Et la réalité est souvent là pour les renforcer. D’un bord comme de l’autre, on force le trait pour mieux se détester. Et quand deux hommes se câlinent, entre quatre murs, dans un espace privé, puis se font massacrer par leur voisinage, c’est encore le clivage culturel et religieux qui est mis en avant. L’islam a bon dos, que ce soit pour justifier la persécution des homosexuels ou pour accabler une société, décidément trop “sauvage” pour ceux qui prétendent vivre dans le 21e siècle.
Pourtant, le véritable enjeu est ailleurs. L’agression insupportable de Béni Mellal ne nous apprend rien de nouveau sur les rapports ambivalents de la société marocaine avec l’homosexualité. Mais ce fait divers jette un coup de projecteur sur une réalité autrement plus grave : les Marocains n’ont jamais appris à se tolérer. S’accepter au-delà de ses différences ne devrait pas passer pour une abdication à des principes prétendument occidentaux. La tolérance devrait se faire au nom de l’harmonie sociale et l’intérêt commun. Car jamais le Maroc n’a été uniforme et jamais il ne sera homogène. Jamais l’homosexualité ne disparaîtra. Jamais la cohésion sociale ne sera assurée par la dictature de la majorité.
Alors comment faire ? Répéter inlassablement que l’amour de la patrie c’est d’abord l’amour des siens, dans leurs différences, leurs forces et leurs faiblesses. Affirmer haut et fort que défendre son pays, c’est défendre les Marocains et non pas des principes religieux. Des expériences tirées d’ailleurs – et pas toujours du Grand Méchant Occident – nous montrent la voie. Singapour est un exemple intéressant. Dans les années 1970, le Maroc n’avait pas grand-chose à envier au pays de Lee Kuan Yew. Trente ans plus tard, la réussite de Singapour laisse notre royaume très loin derrière. Et l’une des forces de ce dragon asiatique est justement la défense de la patrie, qui s’inculque à l’école, en martelant aux enfants le principe de la “défense totale”. Pour les petits Singapouriens, leur patriotisme englobe aussi bien des aspects militaires et économiques que psychologiques et sociaux. La défense de leur pays, c’est la défense de leur terre, son développement et ses habitants. Dans le respect des croyances de tous. Chez nous, les seules valeurs qui nous unissent sont la marocanité du Sahara, la monarchie et l’islam. Peut-être le foot aussi. Mais quels citoyens voulons-nous ? Cette question n’a toujours pas été tranchée.