La chambre des représentants a voté une modification de l’article 16 du code de la famille. Ils ont ainsi approuvé le prolongement de cinq ans de la période permettant de faire reconnaître les mariages conclus par fatiha. Une telle prolongation a déjà été votée une fois en 2010. D’après le Mouvement populaire (MP), à l’origine de cette modification, le but serait de laisser du temps aux personnes étant donné que certaines n’ont toujours pas connaissance de la loi.
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De son côté, l’USFP a voté contre cette modification du code de la famille. Le parti de l’opposition, comme des associations féministes et d’aide aux jeunes filles, estime que prolonger cette période censée être transitoire incite aux mariages des mineurs et à la polygamie. Alors que dans l’idée initiale du code de la famille, le but était de légaliser des unions déjà effectives, de nouveaux mariages se réalisent en profitant de cette phase de transition. « La pratique a démontré que cet aliéna a toujours été utilisé comme moyen de contournement de la loi pour la polygamie et les mariages de mineures », explique Samira Bikarden, présidente de l’association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), qui qualifie ce vote de « catastrophe ». Selon une étude réalisée par l’association Initiative pour la promotion des droits des femmes (IPDF), entre novembre 2012 et juin 2013, 25% des verdicts favorables dans les demandes d’authentification concernent des filles mineures, dont l’âge au début du mariage ne dépassait pas 15 ans.
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Maintenir les pratiques à jamais ?
Pour la présidente de l’ADFM, cette « régression inédite » risque de « maintenir ad vitam eaternam des pratiques inadmissibles ». D’autant plus que d’après la militante féministe, les juges ne recourent pas systématiquement à l’expertise avant d’accorder la reconnaissance du mariage, pour vérifier s’il y avait bien des raisons de ne pas établir les documents au moment opportun.
L’association réclamait, en cas de prolongation, une facilitation de la procédure du contrat de mariage. « Pourquoi vont-ils recourir à la procédure normale prévue […] dont la procédure n’est pas simplifiée et reste coûteuse alors qu’ils peuvent recourir en toute impunité à l’alinéa 4 et notifier le mariage de manière plus simple ? » fait mine de s’interroger Samira Bikarden.
Certaines associations demandaient également que ce délai ne concerne que les mariages entre adultes. D’ailleurs, Mohamed Laâraj, député MP, nous expliquait en janvier dernier que cette proposition de loi qualifiée de « chance pour les citoyens », « concerne l’authentification des mariages des adultes (à partir de 18 ans) et a été émise de bonne foi. S’il y’a dérive, ce sera à la loi de trancher ». Mais dans les faits, il n’en est rien. Aucune précision n’a été apportée à l’alinéa.
Mariage de mineures ou polygamie, raisons de la non authentification
Même son de cloche que l’ADFM à la Fondation Ytto, qui regrette également cette modification de la loi sans nouvelle mesure d’accompagnement. L’association a présenté le 14 décembre le bilan de sa caravane 2015, réalisée dans 40 douars des provinces de Zagora et Tinghir. Or, les chiffres sont révélateurs. Dans une zone donnée, sur 278 femmes (mariées, divorcées ou veuves), 170 l’ont été avec fatiha, soit plus de la moitié. Toujours sur cet échantillon, 155 se sont mariées avant leurs 18 ans. Et d’ailleurs, il ressort des questionnaires fournis que les deux principales cause de la non authentification du mariage est qu’il s’agit d’une mineure (71 % des cas) ou encore que la première épouse refuse une nouvelle union de son mari (12 % des cas).
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Cette caravane révèle également la mentalité qui prévaut dans ces douars. Par exemple, 29 % des femmes considèrent le mariage des mineurs acceptable. En revanche, seulement 12 % des femmes ne trouvent pas la polygamie acceptable. Près de la moitié n’ont pas connaissance du code de la famille.
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Si le mariage précoce concerne tous les pays, la situation marocaine est particulièrement alarmante. 16 % des femmes âgées entre 20-24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans, et 3 % avant 15 ans, des chiffres au-dessus de la moyenne mondiale qui est de 10 %. Le ministère de la Justice a enregistré plus de 35 000 mariages de mineurs en 2013, soit 11 % de la totalité des mariages contractés au Maroc. Toujours d’après la même source, le problème concerne aussi bien les zones rurales qu’urbaines.
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