« Pas un seul pays n’est épargné par le mariage des mineurs mais de plus en plus d’États ont décidé de prendre les choses en main », nous explique positivement Françoise Moudouthe, responsable Afrique du mouvement Girls not Brides, en marge de sa grande réunion organisée à Casablanca le 19 mai. Une prise en compte qui ne concerne pas le Maroc, où la situation est particulièrement alarmante. Deux associations marocaines font d’ailleurs partie du mouvement mondial.
Le Maroc très mal classé
Au Maroc, 16 % des femmes âgées entre 20-24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans, et 3 % avant 15 ans, des chiffres au-dessus de la moyenne mondiale qui est de 10 %. Le ministère de la Justice a enregistré plus de 35 000 mariages de mineurs en 2013, soit 11 % de la totalité des mariages contractés au Maroc. Toujours d’après la même source, le problème concerne aussi bien les zones rurales qu’urbaines.
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Alors que la situation s’est améliorée en Afrique du Nord et au Moyen-Orient depuis les années 1980, elle s’est aggravée dans le royaume. « Le Maroc est très en retard par rapport à ses voisins », nous explique Samira Bik, de la coalition du Printemps de la dignité, « en Tunisie le mariage est interdit en-dessous de 17 ans mais le nombre de mariages de mineurs enregistrés est moins important. L’Algérie interdit ceux en-dessous de 19 ans ».
La vie des fillettes en danger
L’union des mineurs est lourde de conséquences. « Il y a peu de choses aussi avilissante que le mariage des enfants », s’indigne Françoise Moudouthe. Concrètement, les filles ont moins de chances d’aller à l’école, ont plus de problèmes gynécologiques, ont des enfants très tôt et risquent donc davantage de mourir en couche, et mettent la vie de leurs bébés en danger, comme l’expliquent les associations. Mais le fléau n’est pas qu’un problème de droit de l’Homme: c’est également un problème de développement, puisqu’il est à l’origine d’un cercle vicieux de pauvreté.
La loi marocaine interdit le mariage entre personnes de moins de 18 ans, mais en même temps autorise des dérogations accordées par les juges. Nadia Sonneveld, juriste au Centre Hillary Rodham Clinton pour l’Autonomisation des Femmes basé à Ifrane, a interrogé plus de quarante juges sur le sujet. D’après ses résultats, même s’ils défendent une décision au cas par cas, ils ont pour habitude d’interdire l’union lorsque la différence d’âge est trop élevée et que la fille étudie. A l’inverse, ils accordent une dérogation quand le mariage est « approuvé par la communauté » et quand il y a eu relation hors mariage et donc, qu’« il y a du désir, une attirance et que donc cela fait sens de les marier ».
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Sans oublier tous les mariages coutumiers qui ne sont pas légalisés : « Dans les zones rurales, beaucoup de mariages ne sont pas enregistrés parce que cela coûte trop cher de se rendre au tribunal », explique notamment Mehdi Msaad, avocat de la Fondation Ytto.
« Je n’en ai jamais rencontrée une contente d’avoir été mariée aussi jeune »
Il va sans dire que ces unions de fillettes avec des quadragénaire voire septuagénaires ne sont pas voulues. « Leur lobe frontal n’est même pas formé, elles sont en incapacité de prendre une décision », explique Asmâa El Mehdi de la coalition du Printemps de la dignité. Françoise Moudouthe a rencontré plusieurs de ces jeunes filles : « Elles sont parfois résignées mais je n’en ai jamais rencontrée une contente d’avoir été mariée aussi jeune. Dans leur grande majorité, elles disent qu’elles feront tout pour que cela n’arrive pas à leurs filles ».
« J’ai vécu dans ce foyer que je détestais. Je n’avais pas le choix. Quand nous avions une relation sexuelle, je fermais les yeux », explique Rachida, mariée à 17 ans, citée en 2014 par l’Institution nationale de solidarité avec les femmes (Insaf), à l’origine d’un plaidoyer.
Si la tendance ne s’inverse pas, le nombre de filles-épouses dans le monde devrait passer de 280 millions aujourd’hui à 320 millions d’ici 2050. Le but de Girls not brides et plus particulièrement de la rencontre du 19 mai est donc d’échanger sur les bonnes pratiques de lutte contre le problème, surtout qu’ « il dépasse les clivages, touche tous les continents, [et] n’est pas question de religion », constate Sylvain Biville, de Girls not brides.
Quelle solution pour éradiquer le fléau ?
Alors, le droit ou le terrain pour changer les choses ? « Pour nous la question des lois est primordiale », nous explique Samira Bik. Si des associations comme la fondation Ytto ont pour habitude de réaliser des caravanes dans les zones rurales pour apprendre aux populations que la mariage des mineurs est interdit et dangereux, pour elle, la sensibilisation n’est pas à la charge des ONG : « C’est une tâche énorme qui relève de la responsabilité de l’État qui doit mettre une politique publique en place », assure-t-elle avant de résumer : « Vous êtes censé ne pas ignorer la loi mais avant il faut vous la rappeler ».
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Maître Msaad explique en effet que lors du voyage de la fondation Ytto dans le Haut-Atlas, la plupart des habitants rencontrés n’avait même pas connaissance du code de la famille. D’après Samira Bik, qui regrette « une absence de volonté de changer la situation » de la part du gouvernement, il est essentiel de mettre des moyens : « On dépense bien dans des campagnes de sensibilisation au Code de la route ou aux élections mais quand cela concerne les droits, il n’y a rien ».
Quand il est trop tard, leur offrir un travail
Certains pays sont à prendre en exemple, tels l’Égypte ou la Zambie pour le continent africain. Françoise Moudouthe explique que le premier a récemment lancé une stratégie multisectorielle sur cinq ans qui prend en compte le problème dans son ensemble (santé, éducation…). Le pays d’Afrique australe a quant à lui confié au ministère des Chefs et affaires traditionnelles l’organisation de la campagne de sensibilisation : « C’est intéressant, la source du problème est devenue la solution », remarque la Sénégalaise.
Plusieurs moyens sont donc bons pour empêcher les mariages, mais il est aussi important d’aider les jeunes filles déjà concernées, en favorisant leur autonomie en les formant à un travail par exemple. Plusieurs associations travaillent sur le sujet. En Éthiopie par exemple, une organisation a mis en place des lieux où se rencontrent ces filles chaque semaine pour échanger et sortir de leur isolement.
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