Moudawana: dix ans de lacunes juridiques en dix points

C’est au sein de siège de l’ADFM à Rabat, qu’une poignée de journalistes se sont réunis la semaine dernière à l’occasion d’une conférence organisée par le réseau national Anaruz des centres d’écoute des femmes victimes de violences.

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Le réseau Anaruz dresse la liste des lacunes juridiques de la Moudawana. Crédit : Tarek Bouraque

Une conférence placée sous le thème des « lacunes juridiques dans le code de la famille et leurs effets sur les femmes et les enfants »  et qui avait pour message l’urgence d’une révision en profondeur du code de la Moudawana devenu aujourd’hui une porte ouverte à de nombreux abus contre les femmes. Une conférence marquée par les témoignages de femmes qui ont accepté de briser le silence sur leur calvaire.

–  Article 349 : héritage par voie de « taâsib »

Alors que le dernier rapport du Conseil national des droits de l’homme a relancé le débat autour de l’épineuse question de l’héritage, sujet qui creuse le clivage entre modernistes d’un côté et conservateurs de l’autre, le réseau Anaruz pour sa part n’hésite pas à prendre position et demande une parfaite égalité, avec tout du moins l’abolition urgente de l’héritage par voie de « taâsib ». Une règle qui prive les filles qui n’ont pas de frère d’une partie de l’héritage de leurs parents, au profit de frères, sœurs, oncles, tantes ou cousins du parent décédé. A noter que d’autres pays musulman ont franchit le pas de cette abolition comme en Tunisie et en Irak. « Pour comprendre cette situation, il faut enlever la dimension idéologique et voir la réalité : au moment où l’époux décède dans des familles où il n’y a que des filles, et que ce dernier ne laisse qu’une maison, ses propres frères qui possèdent eux-mêmes leur propres maisons et leurs épargnes hériteront directement. Les frères de l’époux viennent alors prendre leur part de l’héritage, vendent la maisons aux enchères et dispersent dans le même temps toute la famille du défunt », explique Maître Almou.

–  Article 39 : Mariage entre musulman et non-musulman

L’article 39 du Code de la famille écarte d’emblée toute possibilité de mariage entre musulman et non-musulman, sauf pour les hommes, à conditions que la future épouse soit chrétienne ou juive. Ainsi, le texte prohibe «  le mariage d’une musulmane avec un non-musulman et le mariage d’un musulman avec une non-musulmane, sauf si elle appartient aux gens du Livre ». L’avocat dénonce pour sa part un contournement de la Loi. « L’application de cet article pose problème dans le sens où lorsqu’une musulmane marocaine rencontre un européen non-musulman, il peut rapidement annoncer sa conversion vers l’Islam pour l’épouser, or le fait qu’une personne abandonne sa croyance en raison d’une relation avec une femme pose des questions », indique-t-il.

 

– Article 332 : Héritage entre musulman et non-musulman

Sur ce point l’article 332 du Code de la famille se veut clair : « Il n’y a pas de successibilité entre un musulman et un non-musulman ». Un texte qui pose cependant une réelle problématique selon Maître Almou. « En pratique, un Marocain qui s’est marié avec une française installée au Maroc qui dispose de biens immobiliers ou d’une entreprise, et avec laquelle il a des enfants, cette dernière décède, la question qui se pose : qui va pouvoir hérité de ses biens ? Personne, selon la loi son mari ne pourra pas hériter parce qu’il est musulman, de même ses enfants ne pourront pas hériter parce qu’ils sont également considérés musulmans », relève-t-il. De même la femme non-musulmane est évincée de l’héritage, une règle qui fait l’objet de nombreux débats au sein de la doctrine marocaine. Privé d’héritage sous prétexte qu’elle n’est pas de confession musulmane, l’épouse se voit pourtant contrainte à respecter le cadre religieux imposé par la Moudawana sous prétexte qu’elle est ou sera la mère d’enfants considérés comme musulmans par la législation marocaine.

– Article 156 : Rapports sexuels « par erreur » durant les fiançailles

Autre incohérence relevée par le réseau Anaruz, l’article 156 du Code la famille qui stipule que « si les fiançailles ont eu lieu et qu’il y ait eu consentement mutuel, mais que des circonstances impérieuses ont empêché de dresser l’acte de mariage et que des signes de grossesse apparaissent chez la fiancée, cette grossesse est imputée au fiancé pour rapports sexuels par erreur ». Le législateur a soumis à cette filiation certaines conditions, d’une part la reconnaissance et l’approbation des fiançailles par les deux familles, et le cas échéant par le tuteur matrimonial de la fiancée, d’autre part l’établissement de la grossesse durant les fiançailles et enfin les deux fiancés doivent reconnaître que la grossesse est de leur fait. Une forme de tolérance pragmatique qui vient pourtant contredire le Code pénal, souligne Maître Almou. « Cet article reconnaît une relation sexuelle entre les fiancées. Quant au Code Pénal, dans ce cadre il ne concorde par avec la Moudawana puisque toute relation sexuelle hors mariage est punie d’emprisonnement », souligne l’avocat.

Article 32 : Le Sadaq ou la dot

Au Maroc, le Sadaq est une condition de validité de la réalisation du mariage. Si le versement de ce Sadaq n’est pas prévu, le mariage est considéré nul. Si le Sadaq n’est pas versé, l’union peut être rompue. Le législateur précise que la dot implique de la part du mari « le désir de contracter le mariage, de fonder une famille stable et de raffermir les fondements de l’affection et la cohabition entre conjoints ». Il ajoute par ailleurs que le fondement légal de la dot réside dans sa valeur morale et non sa valeur matérielle. Il ne serait donc pas question de désir de jouissance du corps de la femme. « Pourtant quand on sintéresse aux articles qui traitent du Sadaq en cas de divorce judiciaire, la Moudawana définit le Sadaq comme une contrepartie de la jouissance sexuelle de l’époux », relève Maître Almou. L’article 32 énonce en effet, que si l’intégralité de la dot est acquise à l’épouse en cas de consommation du mariage ou bien de décès de l’époux avant cette consommation, en cas de divorce sous contrôle judiciaire avant la consommation du mariage, l’épouse a seulement droit à la moitié du Sadaq fixé.

– Article 20 et 21 : Mariage des mineurs

Un peu plus de dix ans après l’adoption de la nouvelle Moudawana, le nombre de mariages des moins de 18 ans ne semble pas avoir diminué. Plus de 102 000 unions de filles mineures ont en effet été célébrées au Maroc, entre 2004 et 2014, selon le dernier recensement réalisé par le Haut commissariat au plan. Des chiffres qui s’expliquent par la mauvaise utilisation des juges des articles 20 et 21 du Code de la famille, dénoncent de nombreuses associations féministes. Quoique interdit par la loi, le mariage des mineurs est en effet soumis à dérogation. L’article 20 établit que le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser l’union du garçon et de la fille « avant l’âge de la capacité matrimoniale prévu par décision motivée précisant lintérêt et les motifs justifiant ce mariage », sans pour autant préciser d’âge minimal. De même « le mariage du mineur nest subordonné qu’à lapprobation de son représentant légal », ajoute l’article 21. « Le mariage des mineurs doit être purement et simplement interdit, ce quil défend ne représente pas la société et ne lui porte aucun intérêt, il ne représente que la société dans sa propension à violer le corps des mineurs », dénonce pour sa part le réseau Anaruz.

– Article 45 : Polygamie

Si pour beaucoup la polygamie semble être une réalité oubliée, au Maroc, le combat des femmes contre la pratique polygamique est loin d’être terminé. La nouvelle Moudawana a en effet adopté une solution pour le moins ambiguë en la matière. Sans couper les ponts avec le droit musulman, elle a essayé d’assortir la polygamie de certaines conditions pour limiter sa pratique. « Si la loi impose que l’époux a besoin de laccord de sa femme, elle indique également que la polygamie est un droit légitime du mari pour quil ne tombe pas dans ladultère », indique Maître Almou. « Larticle 45, dernier paragraphe, représente un type dextorsion et de menace pour la femme puisquil agite le spectre du divorce pour raison de discorde (Chiqaq) dans le cas où elle refuse de donner son autorisation », ajoute l’avocat avant de poursuivre « il y a des femmes qui maintiennent leur refus jusquau dernier moment puis quand elles savent que cet article va être appliqué, elles préfèrent abandonner en choisissant ce quelles pensent leur être le moins dommageable ».

Article 146 et 148 : Filiation parentale

Une autre lacune illustrée par la Moudawana, selon le réseau féministe, réside dans l’article 146 du Code de la famille. « Il ne défend pas les droits de lenfant, notamment son droit naturel à être affilié à son père. De fait, larticle 146 établit la distinctions des enfants légitimes et illégitimes », précise Maître Almou. A noter que la filiation paternelle découle des rapports conjugaux, de l’aveu du père, des rapports sexuels par erreur (Choubha). « Cest une Loi qui punit lenfant dun crime quil na pas commis. Il y a des jugements judiciaires où le tribunal a demandé des tests ADN qui ont prouvé la filiation paternelle biologique entre lenfant et son père, pourtant le tribunal sest prononcé contre, la relation étant considérée comme une relation de zina (fornication) condamnée par le Code pénal, privant ainsi lenfant de filiation paternelle. Cest là lune des causes du nombre davortements et dabandon des enfants », conclut l’avocat.

– Article 236 : Droits de garde et tutelle légale (Hadana et wilaya)

Bien que le code la famille confie automatiquement le droit de garde des enfants à la mère en cas de divorce, elle n’en demeure pas moins soumise à plusieurs obligations envers le père, reconnu comme tuteur légal des enfants. « La Moudwana distribue les rôles entre le père et la mère de façon traditionnelle, en cas de divorce, la hadana soit la garde de lenfant qui se réfère aux soins matériels et physiques de lenfant est attribuée à la femme tandis que la wilaya (tutelle légale) revient à lhomme et comprend la gestion du futur des enfants ». Une distribution des rôles source de souffrances pour de nombreuses femmes. « Si une mère qui a la garde de son enfant souhaite le changer d’établissement scolaire, linscrire dans un club sportif, partir à l’étranger etc., elle devra obtenir la permission de lex-mari, ce qui donne régulièrement lieu à des chantages et des pressions de la part de lhomme », constate le réseau Anaruz.

– Article 49 : Répartitions des biens entre les divorcés

Disposition phare du Code de la famille, la question du partage des biens continue de faire couler beaucoup d’encre. L’article 49 dispose clairement que les deux conjoints peuvent gérer conjointement tous les biens acquis par le ménage. De même « un contrat subséquent à l’acte de mariage définit les modalités de la mise en valeur du partage des biens. Il est du devoir des magistrats compétents lors de l’établissement du contrat de mariage d’insister auprès des jeunes mariés pour signer le document en question ». Pourtant, plus de dix ans après son adoption, son application tarde à suivre. Or en l’absence de contrat, le Tribunal se réfère aux règles générales de preuves. « Dans ce cas, on considère que l’origine des biens appartient à l’époux et la charge des preuves revient à la femme. Ce qui pose un réel problème pour les femmes au foyer par exemple puisque la justice ne considère par cela comme un travail productif. Un jugement rendu à Kenitra a même considéré que les tâches domestiques et la gestion des enfants relevaient des devoirs de l’épouse, ce qui n’existe même pas dans la Moudawana! L’épouse doit ainsi prouver qu’elle avait un travail productif qui participait à la vie du ménage », alerte Maître Almou qui plaide pour une solution déjà adoptée en Tunisie, soit que la constitution des biens est le fait des deux conjoints et, qu’en cas de divorce, la femme ne saurait être lésée dans la répartition du patrimoine commun. « L’époux ou l’épouse qui contredira cela devra alors le prouver », conclut l’avocat.

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