Après s’être procuré les enregistrements audio des discussions entre les deux journalistes français accusés de chantage auprès du roi du Maroc et de l’avocat marocain Hicham Naciri, Jeune Afrique les retranscrits apportant de nouveaux éléments inédits. La teneur de certains passages est accablante pour les deux journalistes.
D’après l’hebdomadaire, le vendredi 21 août, au bar du Royal Monceau, Hicham Naciri et Eric Laurent se rencontrent pour la deuxième fois. Naciri débute l’entretien en exposant la volonté des deux journalistes de conclure un accord financier : «Vous m’avez dit que vous aviez des informations qui étaient très importantes, très sensibles et qui peuvent avoir un impact important sur le Maroc, qui sont de nature à déstabiliser le régime de Sa Majesté. Et que Mme Graciet et vous, étiez en train d’écrire un deuxième tome qui devrait sortir de façon imminente et que vous étiez disposés à renoncer à la publication de cet ouvrage et de façon plus générale, les informations sensibles que vous aviez, que vous étiez disposés à prendre l’engagement de les oublier, de les taire. » Ce à quoi Laurent répondra «Exactement. »
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Quand Eric Laurent met en cause son futur avocat
Dans ce second échange, Eric Laurent évoque l’affaire HSBC, dans laquelle des journalistes du Monde affirment l’existence d’un compte bancaire au nom du roi Mohammed VI dans la représentation genevoise du groupe bancaire. Il signale à son interlocuteur que Maître Bourdon – qui le représente aujourd’hui- est «très proche de l’Élysée» et qu’il joue un «rôle très important auprès d’Hollande», évoquant un «tropisme algérien » derriere cette affaire.
Ne comprenant pas bien le lien entre cette affaire et le livre de Laurent et Graciet, l’avocat marocain, Hicham Naciri demande des explications. Et Éric Laurent de reprendre: «une des raisons pour lesquelles je veux pas, enfin je veux pas, je voudrais pas que le livre sorte, je pense qu’il sera au cœur d’une campagne qu’on le veuille ou non avec les éléments nouveaux, aussi bien concernant les faits, les dépenses somptuaires, les comptes sur des banques françaises, pas du tout HSBC, plus en effet la SNI (holding royale, ndlr) … ».
Le reprenant sur les «axes de son ouvrage», Naciri demande à Eric Laurent si les éléments évoqués précédemment constituent le cœur de leur enquête. Laurent répondra à côté, en évoquant les affaires de famille, «les tensions, les frottements, les divergences au sein de la famille royale », et indique qu’il compte intituler son ouvrage « Affaires de famille. » À noter que dans ce passage, certains extraits restent inaudibles.
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«Mme Graciet est au courant de la démarche que vous faîtes ? »
Plus tard dans l’entretien, Hicham Naciri questionnera son interlocuteur pour s’assurer que les deux journalistes sont sur la même longueur d’ondes, et qu’Eric Laurent ne fait pas cavalier seul.
«- Il faudrait qu’à la prochaine réunion, Mme Graciet soit avec nous.
– Oui, bien sûr.
– J’ai besoin de savoir aussi ce qu’elle a en tête. Dans quel état d’esprit est-ce qu’elle est.
– Bien-sûr.
– Et d’avoir la certitude que, si on accepte les termes de votre proposition, proposition renégocié, elle s’engage à ne pas utiliser ces informations-là.
– Oui, bien sûr, ça c’est très clair. Elle vous le dira elle-même, elle vous le dira de vive voix, comme ça vous aurez une confirmation écrite de ce que je rapporte.»
Dans ce passage, l’avocat marocain utilise le terme « votre proposition », signalant que le deal financier émane de l’esprit d’Eric Laurent. Ce dernier réagit sans broncher. Il réitérera l’expérience plus loin dans l’interview en exigeant la présence de Catherine Graciet: «Encore une fois, nous n’avons rien demandé, j’ai besoin d’être sûr que Madame est demandeuse, que c’est sa démarche, qu’elle est donc dans cette logique.» Eric Laurent confirmera.
Des propos sous forme de menaces ?
Avant de quitter Hicham Naciri, Éric Laurent sous-entendra pouvoir faire un troisième voire quatrième tome après « le Roi Prédateur » et celui faisant l’objet du deal, en répondant à une interrogation de Naciri :
«-Personne ne sait que vous nous avez approchés pour cette transaction ?
– Personne.
– C’est important, c’est important de préserver la confidentialité.
– Non puis vous savez l’idée de faire « un roi prédateur » ou des « affaires de familles » tous les deux ans.
– Ne le faites pas.
– Non mais on va en faire un troisième, un quatrième, ce serait terrible. »
Jeudi 27 août a lieu le troisième et dernier rendez-vous. Cette fois, Catherine Graciet est présente. Jeune Afrique relaye ici aussi, les enregistrements.
Dans sa première élocution, la journaliste affirme que la DGSE, les services secrets français, fait partie de ses sources. La DGSE a d’ores et déjà affirmé que ce fameux « rapport » n’existait pas. Plus loin, Graciet évoquera son livre « La Régente de Carthage » en sous-entendant que ce dernier a contribué aux révolutions arabes en Tunisie, et en insinuant que le livre qu’elle prépare avec Éric Laurent, pourrait avoir la même influence : «…On a su que le livre était traduit en arabe. Comme le « Roi prédateur » et diffusé largement à la population et quand ça a explosé en 2011… je ne dis pas bien sûr que le livre est la cause de cette révolution, bien sûr que non, mais les gens des manifestations et tout ça… le livre était montré… »
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Une conclusion tendue
D’accord sur les termes financiers du deal, Hicham Naciri insiste sur le caractère secret d’un tel accord : «Donc personne n’a intérêt à ce que ça s’ébruite parce qu’on prend l’engagement, c’est pas juste vous qui nous remettez un papier pour dire que si vous me payez on s’engage? On a aucun intérêt à ce que ça fuite, parce qu’on prend l’engagement aussi, on a absolument aucun intérêt.» Catherine Graciet répondra que c’est «plus dommageable pour vous» et Laurent surenchérira : «C’est dommageable. Et y aura toujours l’argument sur lequel effectivement bah voilà, je ne sais pas, par exemple, vous nous avez approchés et tout, vous nous avez piégés, vous voyez.». Naciri lui répondra «On peut retourner la chose également Monsieur Laurent. On peut la retourner aussi, soyons tordus, on peut imaginer l’inverse.»
Après la remise d’une avance de 80 000 euros, l’enregistrement, relayé par Jeune Afrique témoigne d’une dernière élocution de Catherine Graciet. Elle se dira «enfin soulagée». À la suite de ce rendez-vous, les forces de police appréhenderont les deux journalistes.
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