Avortement: une réforme, oui mais laquelle?

Le ministre de la Justice a un mois pour faire une proposition de réforme de la législation pénalisant l’avortement après avoir consulté les « acteurs concernés ». Mais ces derniers ne sont pas tous d’accord.

Par

Echographie
Crédit : Docor Communicacion

L’annonce a été accueillie par des exclamations de joie et des applaudissements. Lundi 16 mars à Rabat, les participants au débat organisé par l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac), ont exprimé leur joie en apprenant que Mohammed VI avait donné un mois aux ministres de la Justice et des Habous pour lui proposer une réforme de la loi pénalisant l’avortement.

Une libéralisation très ciblée ?

« Ma réaction est indescriptible. Le signal royal que nous attendions est arrivé », commente le professeur Chafik Chraïbi, fondateur de l’Amlac il y a déjà 8 ans. Rappelons qu’actuellement, l’article 453 du Code pénal n’autorise l’avortement que lorsque la vie et la santé de la mère sont menacées.

Lire aussi : Chafik Chraïbi : les arrestations de médecins pour avortement illégal sont « ridicules »

Et pour le médecin, dont l’association estime que 600 à 800 avortements clandestins sont réalisés chaque jour au Maroc, « cette décision montre que le roi est à l’écoute des citoyens marocains, il a vu qu’ils étaient prêts à débattre d’une réforme ». Cependant, Chafik Chraïbi « espère que la montagne n’accouchera pas d’une souris ».

Car tous les intervenants, que les ministres de la Justice et des Habous doivent consulter selon les instructions royales, sont loin d’avoir tous la même vision. Ainsi, Saâdeddine El Othmani, le numéro 2 du PJD − au pouvoir − a été l’un des premiers à faire savoir qu’il était favorable à la libéralisation de l’avortement avant la septième semaine de grossesse dans les cas de malformation du fœtus, de viol ou d’inceste. Une position qui serait celle de la majorité de son parti.

L’avortement autorisé si la santé mentale de la mère est en danger ?

Houcine El Ouardi, le ministre de la Santé (PPS), estime quant à lui, sollicité par Telquel.ma, qu’il faut également autoriser l’avortement lorsque la mère souffre de maladie mentale.

Quant à Chafik Chraïbi, la rencontre qu’il a organisée lundi à Rabat avait pour but principal de discuter de la proposition d’amendement de l’Amlac. Le Pr Chraïbi propose ainsi la révision de l’article 453 en élargissant la définition de la santé pour inclure les aspects « physique, psychologique et social, comme le fait l’Organisation mondiale de la Santé ». Ce qui rendrait possible l’avortement pour une femme souffrant de troubles psychologiques, une mineure, une mère célibataire, ou encore une femme avec de nombreux enfants et trop pauvre pour les élever. L’Amlac propose un comité éthique, composé d’un médecin chef, d’un gynécologue, d’un psychologue, d’une assistante sociale et d’un religieux qui statueraient « au cas par cas », dans un délai d’une semaine.

Nouzha Skalli, députée PPS connue pour son militantisme en faveur des droits de la femme, commence par appeler à un débat pour trouver un consensus en prenant en compte l’effort d’ijtihad auquel le roi a appelé. Elle continue en citant l’exemple de la Tunisie, où l’avortement est légal depuis 1973 et pratiqué gratuitement, à la demande de la femme, jusqu’à trois mois de grossesse, soit 90 jours. « Il est évident qu’il y a un consensus éthique et médical autour de la limite de 12 semaines de grossesse pour avorter », ajoute encore l’ancienne ministre de la Femme et de la solidarité. Mais pour elle, une fois ce délai dépassé, l’avortement doit encore être autorisé si la « santé de la mère, en incluant sa santé mentale, est en danger. Et cela inclut la dépression ».

120 jours, une limite qui fait consensus ?

Khadija Rouissi va plus loin en évoquant une période de 120 jours. La députée du PAM, qui représentait son parti à la rencontre de ce lundi à Rabat, rappelle que « nous nous sommes prononcés clairement sur cette question il y a plusieurs années déjà. Il est impératif que dans la limite de 120 jours (4 mois), les femmes puissent avorter pour des raisons de santé physique, psychologique et sociale, dans des conditions optimales et dans un cadre médical ». Khadija Rouissi estime cependant qu’au-delà de 120 jours, l’avortement devrait toujours être possible pour les femmes victimes de viol et d’inceste.

Cette période de 120 jours est également préconisée par certains religieux. Le cheikh Mohamed Fizazi, qui se trouvait le 11 mars au débat organisé par le ministère de la Santé à Rabat, nous explique que sa position ne diffère pas de celle du président du Conseil des ouléma d’Oujda, Mustapha Benhamza, qui s’est exprimé à cette occasion. Comme ce dernier, Fizazi indique « être pour les droits de l’Homme tels qu’ils sont défendus dans le Coran. Pour nous la vie est sacrée, et j’estime que l’avortement comme les laïcs le proposent est un crime contre l’humanité, contre la vie ».

Cependant, un hadith précisant que l’âme n’est insufflée qu’au 120e jour de grossesse, le cheikh estime que « l’avortement pourrait être permis dans des cas très précis (malformation grave du fœtus, viol), et dans cette limite de temps ». Mais « si la vie de la mère est en danger, l’âge du fœtus ne compte pas, la vie de la mère est plus importante », tranche-t-il.

Le droit de la femme à disposer de son corps

Du côté des militantes pour le droit des femmes, la position est nettement moins nuancée. « Nous voulons que l’avortement médical soit complètement dépénalisé, afin de respecter le droit de la femme à disposer de son corps et mais aussi celui de l’enfant à être désiré », rappelle Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes. « Et ce dans une limite de 12 à 14 semaines, comme le préconise l’OMS, et au-delà en cas de malformations ou de problèmes de santé graves », ajoute-t-elle. Elle explique qu’« une femme qui veut avorter trouvera toujours le moyen d’avorter ; si elle a les moyens elle trouvera des solutions au Maroc ou à l’étranger, si elle est pauvre elle tombera dans les mains d’un charlatan : finalement, dépénaliser l’avortement c’est mettre fin à cette discrimination ». Mais quoi qu’il en soit, « une femme n’avorte jamais de gaité de cœur », précise la militante qui demande aussi un accompagnement psychologique pour les femmes qui décident d’avoir recours à la procédure.

Une réforme plus large

Un accompagnement que Nouzha Skalli et Khadija Rouissi préconisent également. Cette dernière estime ainsi qu’un délai de quelques jours devrait être imposé à la femme qui choisit d’avorter, afin qu’elle puisse « prendre sa décision en toute connaissance de cause ». Pour Nouzha Skalli, la Tunisie a montré que l’on pouvait faire confiance à l’instinct maternel des femmes, qui fait qu’elles n’avortent que lorsqu’elles ne peuvent faire autrement.

Les deux militantes demandent que la réforme de la loi sur l’avortement soit insérée dans une politique globale : « L’avortement doit rester un dernier recours, il faut aider les femmes à éviter de tomber enceinte si elles ne le veulent pas, ou encore les aider à garder leur enfant si elles souhaitent le garder », indique Nouzha Skalli. « Il faut faciliter l’accès aux contraceptifs et mettre en place des cours d’éducation sexuelle dans les écoles. L’avortement ne doit pas devenir un moyen de contraception », insiste quant à elle Khadija Rouissi.

Le ministre de la Santé a justement annoncé lors du débat organisé par son ministère à Rabat le 11 mars dernier que son département travaillait sur un plan d’action en trois volets pour lutter contre les avortements clandestins. En plus de la libéralisation de l’avortement dans certains cas, le ministre a déclaré qu’il fallait « faciliter l’accès des femmes victimes de l’avortement clandestin aux prestations de santé reproductive sans aucune crainte d’être poursuivies, et améliorer la qualité de la prise en charge des complications ». Enfin, Houcine El Ouardi a indiqué que le ministère comptait faciliter l’accès aux moyens de contraception et travailler sur la sensibilisation, et notamment à travers l’éducation sexuelle dans les écoles.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer