Toute propagande a besoin d’images pour fonctionner. Un chef de tribu, un prince, un empereur ou un chef d’État doit toujours s’appuyer sur la mise en scène de sa propre personnalité pour assurer sa légitimité et atteindre le but ultime de l’exercice du pouvoir : séduire et fasciner. L’image est le moyen indispensable pour exprimer ce narcissisme qui se loge au fond de chaque homme politique, affreux dictateur fût-il ou vertueux démocrate. L’apparition du cinéma au XXe siècle a offert à la propagande un outil performant et puissant pour exercer son influence sur les peuples. Les Nazis en Allemagne, par exemple, ont investi massivement le 7e art et produit des chefs-d’œuvre qui glorifient le Troisième Reich et son chef, Adolf Hitler. Une cinéaste de génie comme Leni Riefenstahl a réalisé, dans les années 1930, des films d’une grande beauté artistique et visuelle mettant en scène Hitler, lors de ses différents discours et apparitions publiques. Sergueï Eisenstein, autre grand nom de l’histoire du cinéma, a également mis son talent au service de la propagande, cette fois-ci soviétique. Des films comme Alexandre Nevski et Le Cuirassé Potemkine sont des bijoux d’art mais aussi de propagande, portant aux nues le communisme et ses symboles. L’esthétique de l’image permet de sublimer la politique même quand elle est monstrueuse, barbare et criminelle. Le beau permet d’évacuer l’abject et le dérober du regard. Le fascisme l’a compris et appliqué.
Mais avec les vidéos diffusées par Daech, on est dans un autre niveau de relation entre image et propagande. Quand on regarde ces vidéos, et notamment la dernière mettant en scène l’immolation d’un pilote jordanien, on est partagé entre le dégoût profond et la fascination intrigante. Le sentiment de dégoût est totalement naturel et compréhensible. Mettre le feu à un être humain, le mutiler, tout en filmant ses souffrances est un acte d’une cruauté inédite et une infamie condamnable. Mais la fascination vient de cette esthétisation de la violence, cette mise en scène de la brutalité, et surtout de notre familiarité avec le cadre visuel. Daech veut sidérer et effrayer le monde et ses adversaires, et, pour y arriver, l’organisation terroriste utilise un référentiel « artistique » qui ne nous est pas étranger, le cinéma. Dans ses vidéos, tout renvoie à Hollywood : le mouvement des caméras, les couleurs noir et orange qui rappellent Seven, le film de David Fincher, la bande-son, les thèmes de la vengeance et de la justice évoqués dans les discours des bourreaux… Tout est du déjà-vu et en même temps sans équivalent dans la terreur. Les frontières entre fiction et réalité sont floues et brouillées. C’est ce qui explique le succès aberrant de la théorie du complot et les thèses qui prétendent que ces vidéos sont de grotesques faux. Les jeunes fanatiques de Daech ont été tellement imbibés par la culture du divertissement, du cinéma et des jeux qu’ils en reproduisent les codes et l’univers. Et sur ça, ils sont les enfants de Tarantino plutôt que les héritiers de Ben Laden.