Eric Goldstein: «On ne peut qu’être déçu de la mise en œuvre de la constitution»

Telquel.ma s’est entretenu avec le responsable de Human Rights Watch suite à la présentation du rapport annuel de l’ONG sur le Maroc.

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Eric Goldstein, directeur adjoint de Human rights watch pour la région Mena. Crédit : Yassine Toumi

L’ONG américaine Human Rights Watch a présenté son rapport mondial le 29 janvier à Rabat. Une présentation durant laquelle HRW a déploré l’absence d’avancée des droits de l’Homme au Maroc. A cette occasion, Telquel.ma s’est entretenu avec le directeur adjoint de la division Mena de l’ONG, Eric Goldstein, afin de faire le bilan des droits de l’Homme dans le royaume pour l’année 2014.

Quelle a été l’avancée la plus significative en termes des droits de l’Homme en 2014?

La réforme du Code de justice militaire n’a été publiée qu’en 2015, mais a été adoptée en 2014. C’est une avancée de principe. Est-ce que les gens qui seront maintenant jugés devant un tribunal civil au lieu d’un tribunal militaire bénéficieront d’une meilleure justice ? C’est une autre question.

L’amendement de l’article 475 du Code pénal est une autre avancée. Il y a aussi eu des avancées dans le domaine de la politique migratoire mais aucune nouvelle loi n’a été adopté à ce sujet. Il y a des projets de loi sur l’asile politique, sur la migration et la traite, mais ils ne sont encore qu’au stade de projet de loi.

Quel a été le recul le plus significatif en 2014 ?

Si on se réfère à la constitution, on ne peut qu’être déçu de la lenteur de la mise en œuvre des dispositifs dont le but est d’enraciner les droits garantis par la Constitution. Il n’y a pas eu de [nouveau] Code de la presse, ni d’harmonisation du Code pénal. Des manifestations sont toujours réprimées, les artistes sont toujours poursuivis et, nouveauté, les interdictions frappent désormais des associations des droits de l’Homme.

Vous avez mentionné la lenteur des réformes…

Je crois que la constitution a été annoncée à un moment où il y avait une mobilisation dans la rue. On ne savait pas si cette mobilisation allait s’agrandir mais il y a eu une baisse de l’envergure ce qui a peut-être provoqué une lenteur des réformes.

Quel bilan peut-on tirer sur le gouvernement Benkirane, après plus de trois ans au pouvoir ?

Le Maroc reste un grand chantier. Il y a toujours des débats concernant les reformes à faire au niveau de la justice, de la réforme du Code pénal, du Code de la presse. Il y a un débat riche mais en parallèle avec ce débat, les poursuites et les condamnations persistent. Je parle notamment du cas de Wafaa Charaf. Quel signe est donné par la condamnation d’une femme à deux ans de prison pour une plainte rejetée ? Est-ce une manière de dissuader les personnes victimes de torture ? Ou celles qui critiquent la police ? Même s’il s’agit d’un tribunal, nous considérons que c’est grave. Cela n’encourage pas les gens à s’exprimer et à déposer des plaintes. Cela ne peut qu’alimenter le sentiment d’impunité des forces de l’ordre.

En février, votre rapport sur la migration était très contesté par le gouvernement. Est-ce que vos relations se sont améliorées depuis ?

Demain [le 30 janvier], nous allons rencontrer le délégué interministériel des droits de l’Homme et je pourrais mieux m’exprimer à ce sujet. Le gouvernement n’a également pas apprécié le rapport sur Tindouf.

Mais au sujet de la migration, je tiens à préciser que notre recherche sur le terrain a débuté en 2012 et s’est conclue au début de l’année 2014. Nous nous sommes concentrés sur le traitement des migrants dans la région de l’Oriental. On avait beaucoup de témoignages de la violence des forces de l’ordre près de Nador et de Mellilia. Il y avait également des reconduites régulières vers la frontière algérienne. Ce n’était pas une critique globale [de la politique migratoire], on a constaté un phénomène et nous l’avons dénoncé. La présentation du rapport a eu lieu en février 2014 et le gouvernement n’a pas apprécié le timing. Le but n’était pas de discréditer la nouvelle politique migratoire mais de publier notre recherche. Les reconduites à la frontière [algérienne] se sont arrêtées. Maintenant il y a des éloignements vers l’intérieur, c’est une autre question qui doit être abordée. La violence exercée contre ceux qui n’arrivent pas à franchir les frontières ou dans les zones aux alentours existe toujours. En 2014, j’avais moi-même qualifié la politique migratoire marocaine d’intéressante.

Quelle est la situation au Sahara ?

Il n’y a pas d’évolution en matière des droits de l’Homme au Sahara Occidental. Il y a toujours des procès inéquitables qui se terminent par des peines de prison pour les militants sahraouis. Il y a une interdiction systématique des manifestations même quand les organisateurs ont suivi les mesures requises par la loi. Cela concerne surtout les manifestations dont les organisateurs sont proches des thèses indépendantistes : ces manifestations ne sont pas permises. Il y a des manifestations réprimées ailleurs mais pas de manière aussi systématique qu’à Laayoune. Il s’agit de manifestations pacifiques même s’il y a quelques débordements ou actes de violence.

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