10 hours of walking in NYC as a woman est un film de moins de deux minutes. Une jeune femme filmée en caméra cachée déambule dans New York. Le propos du film est d’illustrer le harcèlement de rue, qui va de l’éloge insistante à l’ironie désobligeante. Laissons de côté l’outre-Atlantique. Le même type de film a été réalisé à Riga, capitale de la Lettonie. La jeune femme n’a été interpellée qu’une fois, lorsqu’un inconnu lui a offert une fleur. Revenons à New York. Un autre film a comparé le quotidien de deux jeunes femmes, l’une voilée, l’autre pas. La seconde se fait harceler au cours de sa journée. Pas la première.
Que conclure de tous ces sifflements polyglottes ? Le buzz du premier film, visionné plusieurs millions de fois sur les réseaux sociaux, est à la hauteur de la polémique. Pourquoi n’y a-t-il presque pas de blancs dans le film ? Il semblerait que les remarques provenant de Blancs américains, rares, ont été coupées car inaudibles… Bref, le film est-il sciemment raciste, stigmatisant le comportement machiste des Noirs et des Latinos ? Ou bien les faits sont-ils têtus, et les minorités extra-européennes effectivement misogynes ? Le film letton par contre est clairement militant : il dénonce les sociétés multiculturelles… Le second film américain est ambigu : défend-il le port du foulard comme protection de la femme, ou le dénonce-t-il comme le résultat du harcèlement de rue ?
A Casablanca, un film scénarisé de la même manière a été diffusé sur les réseaux sociaux. La jeune femme a été sifflée, interpellée, approchée plusieurs centaines de fois. L’avantage du film casablancais, c’est l’absence de la problématique communautaire. Au Maroc, une femme se fait harceler dans la rue. Ce comportement ne souffre pas d’exception régionale ou ethnique, socioéconomique ou urbaine. Des films similaires réalisés dans le monde arabo-musulman généralisent cette observation. La femme, si elle est jeune et non accompagnée, est intruse dans l’espace public. Elle doit raser les murs pour éviter les malentendus.
Le second film new-yorkais laisserait entendre qu’une femme voilée se ferait respecter. Dans un premier temps, sans doute. Au Caire, où l’écrasante majorité des femmes sont aujourd’hui voilées, le harcèlement de rue est endémique. Désormais, il faut qu’une femme se fasse respecter en se couvrant le visage… Une dynamique est enclenchée, que rien n’arrête plus : en public, la femme est problématique, quoi qu’elle fasse. Le voile et le niqab se multiplient depuis quelques décennies, en proportion de la féminisation de l’espace public par l’éducation et le travail féminins. Comment lutter contre une mixité sexuelle (scolaire, professionnelle, urbaine…) qui n’a jamais été pensée et acceptée réellement ?
Le harcèlement est fondé sur cette dynamique mentale : quels que soient l’habillement, le comportement, l’allure de la femme, sa seule présence est cause de malaise, provoquant une attitude réactive de la part des hommes. Ces derniers ne sont ni particulièrement frustrés sexuellement (un garçon de douze ans, lorsqu’il siffle une femme, est-il frustré ?), ni particulièrement pauvres (le harcèlement sexuel est généralisé là où il existe, absent des quartiers pauvres dans les pays où il est absent). Ce ne sont ni le manque sexuel ni la misère économique qui provoquent le harcèlement sexuel, mais une vision de l’espace public. Le harcèlement des femmes est un phénomène culturel. Le combattre, c’est en comprendre les ressorts culturels, sans chercher de faux-fuyants.