Théâtre Cervantès. L’entracte s’éternise

Restauration. Aujourd’hui centenaire, l’ancien plus grand théâtre d’Afrique tombe progressivement en ruines. Malgré les projets de réhabilitation régulièrement annoncés, la situation piétine et les citoyens s’indignent.

Cela fait bien longtemps que le théâtre Cervantès a été abandonné. Plus de vingt ans ont passé depuis sa fermeture définitive par la mairie de Tanger, qui s’est retrouvée dans l’incapacité d’assumer les lourdes charges et de faire fonctionner le lieu. Construit à partir de 1911 par l’architecte espagnol Diego Giménez et devenu propriété de l’Etat espagnol en 1928, l’édifice est loué pour un dirham symbolique à la municipalité tangéroise depuis plusieurs années. Alors que son centenaire a été célébré le 12 décembre dernier, sa vie ne tient plus qu’à un fil. Sa façade n’est plus que décrépitude, tandis que l’intérieur est ravagé par l’humidité, la vermine et les affres du temps. Un bien triste destin pour ce temple du spectacle, qui a marqué l’histoire de la ville du détroit et au-delà. Pouvant accueillir plus de 1400 spectateurs, le théâtre Cervantès a reçu les plus grands artistes et leaders politiques du siècle passé. « Un symbole de convivialité, de tolérance et de multiculturalité. […] Il appartenait à tous les Tangérois, quelle que soit leur confession ou leur nationalité », dépeint l’écrivain Rachid Taferssiti, dans son livre Tanger, réalité d’un mythe

Entre mythe et réalité

« A Tanger, tout se transforme en mythe, on a du mal à s’intéresser aux données concrètes, à la réalité », lance Stéphanie Gaou, propriétaire de la Librairie Les Insolites, située près du théâtre délabré. Comme beaucoup d’autres, elle estime que le projet de réhabilitation de l’édifice « patine dans la semoule ». Depuis la  fermeture du théâtre, le Maroc et l’Espagne ont annoncé à plusieurs reprises qu’un budget allait être débloqué, sans suite. Dès la fin des années 1990, les deux Etats avaient conclu un accord pour lancer un grand chantier de restauration. Un projet annulé un an plus tard, à cause d’une crise diplomatique entre les deux pays autour de l’îlot Leïla. Depuis, le ministère des Affaires étrangères espagnol octroie des dons réguliers. Récemment, l’étanchéité du toit a été refaite pour limiter les dégâts, un sursis en attendant une vraie solution. En plus des travaux de restauration, estimés entre 50 et 70 millions de dirhams, se pose aussi le problème de l’exploitation du théâtre, qui nécessite un financement bien plus onéreux. Une fois remis sur pied, il faudra faire tourner la machine, attirer le public et engranger de l’argent. « Le maire est déterminé à sauver le théâtre, mais même s’il le rachète ou s’il conclut un nouvel accord avec l’Espagne, il n’aura toujours pas les moyens de l’exploiter », estime Rachid Taferssiti.

Du pain sur la planche

Pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent. Le collectif citoyen « Sostener lo que se cae » (Soutenir ce qui tombe), par exemple, réclame un contrat de cession au gouvernement espagnol pour prendre en charge le théâtre Cervantès. « On aimerait s’inspirer du travail de Peter Brook, un directeur de théâtre britannique qui a repris le théâtre des Bouches du Nord à Paris. Au lieu de le restaurer entièrement, il a simplement réparé ce qui était nécessaire pour sécuriser le lieu et assurer un minimum de fonctionnalité », explique Ahmed, étudiant, comédien et initiateur du projet. Son ambition serait de faire du lieu un espace de création multiculturel, dont le financement serait assuré par une cafétéria, la location des espaces, un musée et des spectacles à prix cassé. Selon lui, les autorités espagnoles sont intéressées par le plan du collectif mais doutent encore de sa rentabilité. En parallèle, quatre artistes, la peintre Consuelo Hernandez, le romancier Santiago Martin Guerrero, le poète Mezouar El Idrissi et le dramaturge Jésus Carazo, ont publié un livre intitulé Une scène en ruines : un appel artistique et littéraire pour la récupération du Grand Théâtre, afin de sensibiliser l’opinion publique et peut-être aussi d’éventuels bailleurs de fonds. Dans les rues de la ville, la rumeur veut que le Français Pierre Bergé, mécène et homme d’affaires qui a déjà racheté la Librairie des Colonnes, ambitionne de racheter le lieu. Pendant ce temps-là, le théâtre Cervantès se meurt.    

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