Mali. La vengeance dans la peau

L’armée malienne, à peine réinstallée dans plusieurs villes du nord à la faveur de l’offensive française, est déjà accusée par des civils et des ONG de violences à l’encontre des populations arabes et maures. Le point.

Alors que les forces françaises, maliennes et africaines reprennent le contrôle du nord du Mali aux groupes islamistes, les témoignages affluent, accusant des soldats de l’armée régulière malienne et des milices pro-gouvernementales de violences. Dès la fin janvier, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a fait part de son inquiétude concernant la “soif de vengeance” des militaires maliens, humiliés par leur défaite de début 2012 face aux indépendantistes touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et aux islamistes d’Ansar Dine et du Mujao, groupes qui furent tour à tour alliés et ennemis. HRW rappelait que l’armée malienne est “coutumière des violations”, craignant aussi que la “rhétorique antiterroriste ne serve à justifier des crimes”. Le 2 février 2013, c’est au tour d’Amnesty International de dénoncer dans un rapport des exécutions extrajudiciaires.

 

La peur au ventre

 

De nombreux témoignages alarmants parviennent du nord du Mali. A Sévaré, une ville d’environ 30 000 habitants, des militaires maliens organiseraient des campagnes de dénonciation de personnes suspectées d’avoir collaboré avec les islamistes ou la rébellion touarègue, et plusieurs ONG enquêtent à propos de viols commis par des militaires. L’existence de listes de “collaborateurs” établies à la va-vite par des miliciens pro-gouvernementaux et transmises aux forces maliennes a été avérée. À Gao, on signale des pillages de magasins tenus par des Touaregs et de vastes opérations de racket organisé. Et, il y a quelques jours, un élu malien a appelé les habitants du nord à se démarquer de la tenue des rebelles. Comprenez, éviter de porter de trop longues barbes et les habits traditionnels touaregs pour ne pas être suspecté de sympathies islamistes ou indépendantistes. Plusieurs personnes auraient été arrêtées à cause de leur tenue et leurs conditions de détention restent un mystère. Quant aux sympathisants et combattants islamistes, nombreux sont ceux qui ont “disparu” après avoir été arrêtés… La peur habite maintenant des milliers de Touaregs, de Maures, de Peuls et d’Arabes, qui fuient en direction de l’Algérie, du Niger et de la Mauritanie.

 

Les chevaliers de l’Azawad

 

Face à ces violences, le MNLA se positionne en protecteur des populations. Présent à Kidal, ville de 25 000 habitants, il entend lutter conjointement contre les exactions de l’armée malienne et contre les islamistes, leurs anciens alliés. Joint au téléphone alors qu’il se trouve à Ouagadougou (Burkina Faso), Mossa Ag Taher, porte-parole du MNLA, assure à TelQuel que le mouvement, loin d’avoir perdu de sa force, s’engage pleinement : “Le 3 février au soir, nous avons arrêté d’importants cadres islamistes et expulsé les terroristes de la ville d’Aguelhok, ce dont le Mali est incapable. D’un autre côté, nous engageons notre responsabilité pleine et entière pour protéger les populations contre une armée malienne spécialisée dans le crime. Nous montrons à la face du monde notre légitimité.” Aujourd’hui, Mossa Ag Taher concède dialoguer avec l’armée française dans un souci de stratégie. En revanche, il refuse de prendre langue avec le gouvernement malien : “Le Mali est incapable de mettre en place une feuille de route. Nous n’attendons rien d’un Etat en décomposition, et dès que nous aurons chassé les islamistes, nous allons de nouveau administrer notre territoire.” Et ce bien que le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, ait timidement évoqué la possibilité d’engager le dialogue avec le MNLA il y a peu. La concorde nationale à laquelle appellent des spécialistes semble donc encore loin, d’autant qu’au sein de la classe politique malienne, beaucoup se refusent encore à voir dans le MNLA un interlocuteur légitime.

 

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