Reportage. Rêves sous chapiteau

En tournée au Maroc jusqu’à fin janvier 2013, le cirque Florilegio se produit chaque soir à guichets fermés. Entre les numéros vertigineux et la faune sauvage domptée pour les besoins du spectacle, le public est aux anges. Florilège.

 

Installé sur un terrain vague, entre des barres d’immeubles délabrées et une fête foraine, le cirque Florilegio prend l’allure, un brin kitsch, d’un casino de Las Vegas. Roulottes faisant office de caisses ou de stands à friandises, peintures représentant des tigres sanguinaires, tentures de velours rouges, passementeries dorées, ornements en bronze… bienvenue dans une ambiance rétro chic façon années 1920.  L’endroit nous transpose immédiatement dans l’univers mystérieux des artistes nomades et des troubadours. On s’attendrait presque à voir un groupe de tziganes jouer du violon autour d’un feu et une Esmeralda qui danserait au rythme du tintement de ses bijoux. Dès l’entrée du chapiteau, des effluves de fauves, de pop-corn et de barbes à papa vous sautent aux narines. Mais pas le temps de s’attarder car il est déjà l’heure de la représentation et les spectateurs, plongés dans le noir, s’impatientent.

 

La piste aux étoiles

La piste s’éclaire, la musique retentit et c’est parti pour deux heures de show. Un pur-sang arabe court après des oies. Il y a des cracheurs de feu et des lanceurs de couteaux. Des funambules se font des frayeurs en faisant du vélo sur une corde. Un énorme python d’une longueur infinie et un bébé lion, portés par les artistes, font le tour des gradins au grand bonheur des petits et grands. Des acrobates réalisent des prouesses vertigineuses. L’atmosphère oscille entre la Cour des miracles et un film de Fellini. Du côté du public, les rires fusent et les soupirs d’admiration aussi. Le public n’a pas le temps de s’ennuyer, les numéros s’enchaînent à une vitesse éclair et ne durent en moyenne que deux ou trois minutes. Pour cette tournée au Maroc, Florilegio a décidé de monter un spectacle qui reprend tout du cirque traditionnel italien. C’est-à-dire des numéros alliant performance physique et comique de l’absurde, agrémentés par la présence d’animaux exotiques. Et autant dire que leur ménagerie est impressionnante puisqu’elle est composée de sept lions, quatre tigres, un hippopotame, quatre alligators, deux pythons, trois chevaux, cinq poneys, trois zèbres et une otarie.  Mais le spectacle s’inscrit surtout en hommage à un cirque aujourd’hui disparu, le Cirque Amar, une compagnie célèbre qui a fait le tour du Maghreb au cours des années 1960. “C’était l’unique cirque du monde arabe. Mais, faute d’héritier, il a complètement disparu”, déclare Steve Togni, directeur artistique du Florilegio, “excepté dans les souvenirs des Maghrébins nés dans les années 1950-1960 et qui l’ont quasiment tous connu. Nous avons voulu honorer ce souvenir”, poursuit-il. L’univers des cirques et des troupes d’artistes itinérantes c’est aussi ça; des histoires à faire pâlir les mythes et les légendes, qui se perpétuent encore et toujours. D’ailleurs, celle du cirque Florilegio ressemblerait presque à un conte.

 

Le clan des Italiens

Tout commence en 1789, lors de la Révolution française. La famille La Garenne, qui appartient à la noblesse, fuit la France pour se réfugier en Italie. C’est là qu’une des filles de la famille, nommée Christine, tombe éperdument amoureuse d’un jeune marquis italien, Amando de Bianchi. Les deux jeunes gens goûtent au fruit défendu et Christine tombe enceinte. Mais lorsque le bébé naît, elle l’abandonne. Celui-ci est récupéré et élevé par une voyante qui appartient à la communauté des Roms nomades. Le bébé grandit et devient une jeune femme appelée Teresa, qui a appris l’art de la pantomime et de la danse. Un jour, au cours d’une représentation, celle-ci tombe sous le charme d’un jeune officier de la cavalerie du roi d’Italie, Aristide Togni. Les deux tourtereaux se marient et fondent le “Circo Equestre Togni”. C’est à partir de là que débute la saga des Togni. Beaucoup plus tard, dans les années 1930, le cirque est proclamé cirque national par le roi d’Italie. A partir des années 1940, Darix Togni (arrière-petit-fils d’Aristide Togni) devient mondialement connu grâce à son numéro de dompteur de lions. L’histoire familiale veut même qu’il ait tourné au cinéma. En 1976, après sa mort, ce sont ses enfants Livio, Corrado et Davio qui reprennent les rênes. Livio s’illustre dans le domptage et la gestion du cirque, qu’il envoie en représentation dans vingt pays. Davio est la star de l’équitation et Corrado le maître absolu de l’humour. En 1990, les trois frères décident de relooker leur cirque et vont le baptiser Florilegio. Les nouveaux héritiers ne sont autres que Max (gestionnaire) et Steve (directeur artistique et dompteur), les fils de Livio, actuellement aux commandes du show. 

 

Saltimbanque du monde

Depuis 2003, le cirque Florilegio sillonne le monde musulman. Le Liban, La Syrie, le Qatar, l’Algérie ou encore l’Iran, un pays où le spectacle a marché “du feu de Dieu” d’après Patricia, secrétaire administrative du cirque : “Nous n’avions plus de tickets mais les gens insistaient pour rentrer, les spectateurs se sont retrouvés à 3000 alors que le chapiteau a une capacité de 1500 places”. Au Maroc, la fièvre du cirque prend bien malgré quelques remarques du public : “Il m’est arrivé de recevoir des gens qui nous demandaient d’habiller un peu plus nos artistes filles, mais les habits moulants font partie des conditions de sécurité”, raconte, non sans un sourire, Patricia. Les employés du cirque, artistes et staff techniques confondus, sont au nombre de 70 et vivent ensemble tout au long de la tournée. Comme toutes les entreprises, Florilegio connaît un turn-over régulier. “Il y a des employés qui sont là depuis 20 ans, mais la plupart des artistes signent des contrats pour une tournée avec nous, explique Steve Togni. J’organise des castings pour les recruter, ou ils envoient eux-mêmes leur CV.” Pour la tournée sur le thème du Cirque Amar, la plupart des artistes viennent du Brésil, de Colombie ou encore du Mexique. L’Amérique Latine est d’ailleurs le prochain lieu de tournée du cirque, qui aura lieu en 2013. Steve Togni a même le projet de créer une école de cirque au Brésil, les recrutements auront lieu lors de la tournée : “Beaucoup de jeunes Brésiliens sont de véritables athlètes avec une passion pour les arts, mais il y a très peu de formations pour eux, alors nous allons en créer une.” Ce ne sera pas le premier coup d’essai, l’arrière-grand-père de Steve Togni est le fondateur de l’Académie du Cirque à Vérone, qui existe depuis 150 ans. Pour l’instant, Florilegio est en tournée au Maroc jusqu’à fin janvier 2013.  Pas de répit pour mener la vie de bohème…

 

 

Zoom. Steve le dompteur

Depuis plusieurs semaines, que ce soit dans les taxis ou dans la rue, tout le monde a reçu un flyer avec une réduction pour aller au cirque Florilegio. Sur ce flyer et sur les affiches, il y a la tête d’un dompteur habillé à l’indienne, sourire ultra-bright et regard émeraude. Eh bien, cet homme existe ! C’est Steve Togni, directeur artistique du cirque mais surtout le dompteur des félins et de l’unique otarie. En vrai, il est beaucoup moins “photoshopé” et plus “humain” mais garde tout de même son charme hypnotisant, avec un accent italien en prime. Sans oublier une cicatrice sur le visage, comme tout bon dompteur qui se respecte. Steve a commencé sa carrière à 19 ans. Avant, il menait une vie de sédentaire un peu trop “normale” à son goût. C’est comme ça qu’il a décidé de marcher sur les traces de son père Flavio. En plus de ça, c’est lui qui crée les spectacles, les chorégraphies et les numéros. Normal, son talent artistique lui vient de sa mère, danseuse au Moulin Rouge et au Paradis Latin. Actuellement, c’est elle qui dessine et coud les costumes des artistes. On l’avait dit, Florilegio c’est une histoire de famille !

 

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