Cinéma : Mohamed Ulad Mohand, un réalisateur en colère

Il est réalisateur, producteur marocain installé en France. Au Maroc, dans le milieu du cinéma, on continue de lui rappeler qu’il est un cinéaste de « là-bas ». Ce qui, le moins que l’on puisse dire, le met très en colère. Résultat : il dit tout haut ce que beaucoup de jeunes réalisateurs installés à l’étranger pensent tout bas.

Mohamed Ulad Mohand est un réalisateur-producteur discret. Son nom, d’ailleurs, apparaît rarement sur la liste des jeunes cinéastes marocains installés à l’étranger. Depuis le Festival de cinéma international à Marrakech en 2000, où il avait fait une brève apparition, on ne l’a plus revu lors des différents festivals ou manifestations cinématographiques qu’accueille le Maroc – et qui se comptent, au passage, sur le bout des doigts. Son apparition brève a été néanmoins remarquée pour deux raisons. La première est que son court-métrage À travers le miroir avait fait mouche, faisant découvrir au public et aux professionnels du cinéma un vrai talent. La deuxième est que, ce qu’on appelait déjà à l’époque « nouvelle génération de cinéastes marocains » était, sans le vouloir, à l’origine d’une tension qui avait plané sur le festival tout au long de sa durée. Pour beaucoup en effet, il était difficile d’admettre qu’il fallait dorénavant faire avec ces jeunes qui arrivaient de France (Meriem Bakir, Leïla Marrakchi, Narjiss Nejjar, Hassan Legzouli, Faouzi Bensaïdi…), des États-Unis (Hakim Belabbès, les sœurs Bouziane), d’Angleterre (Nassim Abbassi) ou même de Norvège (Noureddine Lakhmari). Mohamed Ulad Mohand, lui, apparaissait un peu comme étant le leader de ce mouvement. Un peu le frère aîné, en somme. Son court-métrage et celui des autres semblaient dire : « Voilà, nous sommes là maintenant, dans notre pays ». Mohamed Ulad Mohand se souvient : « Nous avons eu plusieurs réunions entre réalisateurs de différentes générations et je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte de conflit latent, du fait que nous étions considérés comme des cinéastes de ‘là-bas’, en opposition aux cinéastes ‘d’ici' ». Pourtant, nous étions tous Marocains, nous avions fait des courts-métrages en darija, avec des acteurs marocains et des films tournés au Maroc ».

Aujourd’hui, trois ans plus tard, le réalisateur en a encore gros sur le cœur et ne mâche pas ses mots dès qu’il s’agit, plus particulièrement, du fonds d’aide à la production cinématographique. Que s’est-il passé, pour que celui qui se faisait très discret jusque-là sorte de l’ombre ? Son scénario a été rejeté lors de la dernière commission du fonds d’aide. Et alors ? Il n’est pas le seul. Sa copie n’était peut-être pas aussi bonne que celle des autres (Abdelhay Laraki, Jamal Belmejdoub, Nabil Lahlou entre autres qui, eux, ont bénéficié du fonds d’aide), comme d’ailleurs celle de Narjiss Nejjar ou de Leïla Marrakchi. Une chose paraît néanmoins étonnante : les trois sont installés en France et les trois ont été encensés lors de festivals internationaux. Mohamed Ulad Mohand, lui, a produit en France près d’une trentaine de documentaires et de courts-métrages, quatre longs-métrages et a réalisé trois courts-métrages loin d’être passés inaperçus. Bardé de diplômes – (lauréat de la Film Business School à Madrid et du European Film Studio à Paris). Il est également lauréat du Top 50 du très prestigieux magazine américain Variety (Fifty to watch), récompensé à plusieurs reprises : prix du meilleur « Jeune Producteur Cinéma » en France, Prix de Rome de La Villa Médicis. Il est loin d’être un jeune débutant. Bref, direz-vous, cela ne fait pas de son scénario un travail digne de mériter une subvention du CCM. Soit. Mais c’est au moment où on l’entend raconter l’histoire de ce scénario, qu’on comprend qu’effectivement, il est en droit de se poser des questions : « J’ai déposé un premier scénario de long-métrage à l’une des commissions, sous l’ère Souhaïl-Ben Barka. Ladite commission m’a accordé une aide de 2 millions 300 mille dirhams. Pour ce film-là, dont l’histoire est très tragique j’ai eu du mal à trouver des co-producteurs. Entre temps, j’ai écrit un autre scénario, plus accessible et plus ambitieux. Quand je l’ai soumis à des producteurs français, ils étaient tous enthousiastes. C’est alors que j’ai appelé l’actuel directeur du Centre cinématographique marocain, lui faisant clairement part de mes pensées. Par honnêteté, je voulais rendre la première subvention, déposer mon deuxième scénario et donc postuler à nouveau pour une aide. J’aurais pu garder l’argent, personne ne m’ayant rien demandé. Monsieur Saïl m’a encouragé dans cette voie et j’ai rendu l’argent. La commission a eu lieu et je n’ai rien eu ». Drôle d’histoire, en effet. N’étant pas à l’intérieur de la commission, on est tout de suite tenté de penser que Mohamed Ulad Mohand s’est tout simplement fait avoir et que sa naïveté lui a joué un mauvais tour. Aujourd’hui en somme, il n’a que ses yeux pour pleurer, puisqu’il le savait certainement, rien n’obligeait la commission à lui rendre la première subvention, ni à lui en accorder une deuxième. Rien ne nous oblige, nous non plus, à ne pas avoir la puce à l’oreille.
La question que nous sommes en droit de nous poser, après que la dernière commission du fonds d’aide qui « a repris la subvention qu’elle m’avait déjà donnée », dira Mohamed Ulad Mohand, et refusé celui de Narjiss Nejjar et celui de Leïla Marrakchi, est la suivante : que fait le CCM aujourd’hui pour encourager ces jeunes réalisateurs à faire des films au Maroc ? Concernant le rejet des trois scénarios, Ulad Mohand commente : « Le message est suffisamment clair et est loin d’être neutre ». Point de vue que nous partageons et que partage une bonne partie des jeunes réalisateurs installés à l’étranger. Sauf que voilà. Ce qu’ils disent tout bas, Ulad Mohand le dit aujourd’hui tout haut : « Je l’ai déjà entendu à Marrakech : il faut que la commission réserve l’argent aux réalisateurs marocains. Nous ne sommes tout bonnement pas considérés comme des Marocains. Et ce sont là des propos qui m’horripilent ». Ce n’est pas tout. Rares sont ceux qui le disent haut et fort : « Le drame, c’est qu’au Maroc, les gens ont l’impression que nous sommes gâtés à l’étranger, alors que la concurrence est tellement rude. Quand j’entends cela, j’ai envie de rire ». C’est une fois de plus, Mohamed Ulad Mohand qui parle. À cœur ouvert. Et si lui ne baisse pas les bras et tient à redéposer son scénario lors de la prochaine commission, d’autres jeunes réalisateurs pensent hélas autrement : si au Maroc, on ne nous aide pas à produire nos films, on n’aura plus le choix, on restera là où on est. En d’autres termes, on privera pour encore très longtemps le public marocain d’une production nationale de qualité, une qualité qui nous manque tellement. Et que tous ces jeunes réalisateurs marocains – qu’ils soient installés ici ou ailleurs n’y change rien – ont tout le talent nécessaire pour nous l’offrir. Pourvu qu’on veuille d’eux.

 

Reproches. Frilosité néfaste

Indéniablement, nous ne pouvons que reconnaître aujourd’hui le talent d’un Mohamed Ulad Mohand, d’un Faouzi Bensaïdi, d’une Narjiss Nejjar ou encore d’un Hakim Belabbès. Cela ne nous empêche pas pour autant d’être critiques à leur égard. Critiques envers leur manque de mobilisation et de solidarité. Au festival de Marrakech, en 2000, il était question qu’une association soit constituée, histoire qu’eux tous soient au courant de l’évolution du cinéma au Maroc et participent au débat concernant la question. Cela ne s’est jamais fait : « Pour ne pas donner raison à ceux qui pensaient qu’on se montait en clan », précisera Ulad Mohand. Mais ce n’est pas tout. En somme, nous sommes aujourd’hui en droit de leur reprocher de ne rien faire pour participer au changement – ils le font, certes, en faisant de bons films -, en tapant sur la table, en décriant l’attitude des festivals nationaux à leur égard, celle du fonds d’aide, celle des distributeurs. Autrement, on leur reproche de se plaindre discrètement, chacun dans son coin, de venir faire leur films, participer à des festivals quand ils sont invités. Et que leur souci soit d’abord de ménager les susceptibilités. Celles du Centre cinématographique marocain en particulier.

 

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