L’ancien secrétaire d’Etat et “père” du Plan d’intégration de la femme (1999) nous fait part de ses craintes quant au risque d’un retour en arrière. Avec le courage et la franchise qu’on lui connaît…
Le Printemps arabe a été le fruit de combats collectifs auxquels les femmes ont pris part au même titre que les hommes. Les femmes ont animé les réseaux sociaux appelant à la révolte, manifesté dans la rue, et payé un lourd tribut (arrestations, tabassages, viols, etc.) pour que les idéaux et les mots d’ordre de dignité, de justice, de liberté et de démocratie triomphent.
Mais la fin des dictatures et les acquis démocratiques de ces révoltes ne semblent pas leur avoir bénéficié. Aussi bien en Egypte qu’en Tunisie et en Libye, la représentation politique des femmes a été marginalisée à la faveur de la montée des forces conservatrices, et des voix commencent à s’élever pour remettre en cause des acquis précieux, quoique limités en Egypte, en matière de statut personnel.
Des avancées remises en cause ?
Au Maroc, nous avons assisté à une évolution en deux temps. Les risques de régression ont succédé à des avancées significatives, du moins sur le plan juridique, et cela en un laps de temps relativement court (un an). En effet, dans la foulée du Printemps arabe, le royaume a initié d’importantes réformes politiques et constitutionnelles, qui ont débouché sur l’adoption d’une nouvelle Constitution. Laquelle comprend d’importants acquis pour les droits des femmes : égalité des droits et libertés à caractères civil, politique, économique, social, culturel et environnemental ; institution de la parité entre les hommes et les femmes ; création d’une Autorité pour “la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination” ; mise en place d’un Conseil consultatif de la famille et de l’enfance.
En matière de représentation politique, l’institution lors des dernières élections législatives d’un quota de 60 (sur 395) sièges réservés aux femmes a permis de faire passer le pourcentage de femmes siégeant à la Chambre des représentants de 10,5% à 15%. Bien qu’en progression, ce pourcentage reste toutefois inférieur à la moyenne mondiale qui est de 18%.
Il convient, sur un autre plan, de relever que le Maroc a retiré des réserves sur le paragraphe 2 de l’article 9 et sur l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).
Malgré leur importance, ces acquis doivent toutefois être tempérés. Comme le montre l’expérience française, il ne suffit pas d’inscrire le principe d’égalité des sexes et de parité entre les hommes et les femmes dans la Constitution pour qu’il devienne réalité ! En effet, douze ans après son adoption, la parité électorale est bafouée à chaque scrutin législatif en France.
Art propre et voile à la télévision
Maintenant, l’arrivée des partisans de l’islam politique au pouvoir n’ augure rien de bon pour les droits des femmes, et les premiers signaux lancés par le nouveau gouvernement sont loin de rassurer les militant(e)s des droits humains en général, et des femmes en particulier. Nous en voulons pour preuve la campagne islamiste en faveur du prétendu art “propre” et la volonté d’ouvrir les chaînes de télévision aux femmes voilées que le ministère de la Communication semble s’apprêter à intégrer dans les cahiers de charges qui le lient aux professionnels de la culture et de la communication. La réduction de la représentation féminine à sa plus simple expression (une femme ministre sur trente) dans le gouvernement dirigé par le PJD est un autre signe révélateur du caractère secondaire de l’égalité des sexes dans le nouvel agenda politique.
Au-delà du respect dû aux personnes, cette nomination pose d’ailleurs un réel problème de casting ministériel. Parce que la ministre fraîchement nommée n’a jamais caché son opposition farouche pour l’approche “genre” et s’est distinguée, pas plus tard que l’année dernière, par une violente diatribe contre l’ancien ministre des Affaires étrangères, coupable selon elle d’avoir défendu la levée des réserves sur la CEDAW devant la Chambre des représentants !
Plus grave encore, cette importante entorse à la parité entre les hommes et les femmes s’accompagne d’une inquiétante marginalisation de la question de l’égalité des sexes dans le programme gouvernemental. Le document consacre de longs développements à la question de l’identité nationale, réduite d’ailleurs à la seule dimension religieuse aux dépens des autres dimensions telles que la langue, la géographie ou le genre, contre une page et demie à peine pour le chapitre “droits des femmes”. Qui plus est, les “engagements” prévus dans ce passage du programme tournent le dos aux différents plans et stratégies élaborés par les précédents gouvernements, alors que pour les autres départements ministériels, le programme ne fait que reprendre ce qui était en cours d’exécution (Plan vert, Plan Emergence, politique des grands chantiers, etc.).
Défenseurs des libertés, restez vigilants
Les “engagements” en faveur des droits des femmes, tels qu’on peut les lire dans le programme gouvernemental, se limitent à une liste de mesures et de déclarations d’intentions sans cohérence stratégique ni orientations générales. Aucune mention n’est faite de l’approche “genre”, alors qu’il s’agit d’un outil avéré d’analyse des discriminations femmes – hommes et d’un instrument de planification pour promouvoir l’égalité des sexes dans les législations et les politiques publiques.
Devant cette situation, il n’est pas exagéré d’affirmer que les progrès enregistrés par le Maroc depuis plus d’une décennie, qui sont réels, sont menacés par l’arrivée au pouvoir des forces conservatrices, adeptes d’ une lecture étriquée et passéiste des préceptes religieux qui discriminent les femmes. La mobilisation et la vigilance doivent être les mots d’ordre de tous les épris de liberté et des défenseurs des valeurs universelles d’égalité, de dignité, de démocratie et de justice sociale.
A bon entendeur.