Ahmed Assid: «Les auteurs des manuels d’éducation islamique sont des idéologues»

Retour sur la polémique autour du manuel scolaire d’éducation islamique qui a jugé la philosophie « contraire à l’islam », avec Ahmed Assid penseur et ancien président de l’Association marocaine des enseignants de philosophie.

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Ahmed Assid © Yassine Toumi / TELQUEL

Les enseignants de philosophie protestent contre le contenu d’un chapitre jugé « diffamatoire » à l’égard de leur matière dans le manuel  Al Manar de l’éducation islamique au programme de la première année du cycle du baccalauréat. « La leçon intitulée “Philosophie et foi’” figurant dans ce manuel révisé présente la philosophie comme une matière d’impies et se positionnant contre l’islam. La teneur de cette leçon excommunie notre matière, ce qui va à l’encontre de l’objectif de la révision de l’éducation religieuse (…) On ne peut pas prêcher la haine et prétendre promouvoir la tolérance », avait expliqué à Telquel.ma Abdelkarim Safir, secrétaire national de l’Association marocaine des enseignants de philosophie (AMEP). Le ministère de l’éducation nationale s’était lui défendu de toute référence extrémiste et a défendu ses choix. Il a notamment expliqué que  « le réfèrent officiel de toutes les matières est le guide scolaire qui émane du ministère, dont les documents cadrent le travail éducatif (…), ajoutant que le guide pour l’éducation islamique se réfère au principe de modération et du juste milieu, à même de répandre les valeurs de tolérance, de paix et d’amour ».

Cette polémique ne fait plus les gros titres, mais le fond du problème demeure, estiment les enseignants de philosophie.  Alors que le manuel est toujours en vente, le philosophe et militant laïc Ahmed Assid monte au créneau et en demande le retrait.

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Telquel.ma: Vous étiez président de l’Association des enseignants de philosophie, on imagine que vous avez été piqué au vif par le contenu du manuel scolaire d’éducation islamique de la première année du baccalauréat, qui présente la philosophie comme « l’essence de la dégénérescence »

Ahmed Assid: Je suis écœuré par ce manuel qui s’attaque à la philosophie au nom de la religion. On dirait que cette leçon qui, je le rappelle, a été introduite après la réforme de l’éducation religieuse, sort des années 1990. Et le pire c’est qu’elle est programmée pour les étudiants de la première année du cycle du baccalauréat, année où ils commencent à se familiariser avec les cours de philosophie. Cela vise à casser l’esprit de la pensée et de la science.

Comment expliquez-vous qu’un tel dérapage ait pu se produire sans qu’un des maillons de la chaîne de révision de l’éducation religieuse n’alerte de la dangerosité du contenu de cette leçon ?

Quand on instrumentalise une matière pour s’attaquer à une autre, c’est l’absence de coordination au niveau du ministère, censé respecter les valeurs inscrites dans la charte nationale de l’éducation, qui doit être pointée. Je ne sais pas comment on a pu valider ces textes dégradants à l’égard de la philosophie, mais ce qui est sûr c’est que la commission chargée de la réforme (des manuels scolaires) n’a pas fait son travail. C’est une erreur fatale du ministre qui a la responsabilité de mesurer les propos radicaux et d’avoir une vision globale pour former des citoyens conscients de leurs droits et des valeurs de leur époque, et non pas des sujets et des ignorants.

Il a fallu que les professeurs de philosophie montent au créneau pour dénoncer ce fait. Comment expliquer le silence des professeurs d’éducation islamique ?

La tendance radicale islamiste a réussi à monopoliser certains espaces de l’éducation nationale. La majorité des professeurs d’éducation islamique sont de tendance radicale. Les auteurs des manuels d’éducation islamique sont des idéologues. En somme, ils veulent véhiculer des idées fanatiques ‘daeshiennes’ à travers les manuels scolaires. C’est pour cette raison que ce manuel doit être retiré du marché dans les plus brefs délais.

Par rapport au retrait, le ministère de Rachid Benmokhtar n’a pris aucune disposition pour le moment.

Il est vrai que Fouad Chafiki, directeur des curricula et des programmes scolaires au ministère de l’Éducation nationale, a téléphoné au président de l’Association des enseignants de philosophie mais il n’a pas évoqué la question du retrait de ce manuel. Le ministère devrait retirer de la vente les exemplaires de cet ouvrage car les enseignants de philosophie vont continuer la mobilisation. Que ce soit au niveau national, mais aussi au niveau international. Les instances et les organismes internationaux seront mis au courant.

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