Exclusif: L'ambassadeur de Turquie au Maroc revient sur le coup d'État avorté

Nous avons rencontré Ethem Barkan Öz, l'ambassade de Turquie au Maroc. Au programme, sa réaction suite au putsch avorté qui s'est déroulé dans la nuit du 15 au 16 juillet et sa vision du mouvement Gülen, accusé par les autorités turques d'être derrière le coup d'État.

Par

Ethem Barkan Öz, ambassadeur de Turquie au Maroc. Crédit: R. Tniouni

Où étiez-vous au moment de l’annonce du coup d’État?

Je suis arrivé à Istanbul quelques minutes avant cette tentative terroriste, pour y passer une partie de mon congé annuel, malheureusement j’ai pu témoigner sur place une partie des événements liés à ce putsch inconcevable dans la Turquie du XXIe siècle. Ce fut une campagne terroriste. Les auteurs ont tiré sur leur propre peuple, poignardé leurs commandants dans le dos et bombardé le Parlement et le complexe de la présidence. Et malheureusement, 246 concitoyens, dont un citoyen marocain qui est pour nous un martyr pour notre démocratie, ont perdu la vie et plus de 2 000 ont été blessés.

Est-ce qu’au niveau de l’ambassade vous avez reçu au cours de cette soirée des appels ou des soutiens du Maroc ?

Le Maroc était l’un des premiers pays à exprimer sa solidarité et son soutien à la stabilité et à l’ordre constitutionnel en Turquie dès les premières heures de cette tentative terroriste à travers un communiqué. D’ailleurs, j’ai eu le privilège et le réconfort d’entendre au téléphone la voix du ministre des Affaires étrangères et de la coopération, exprimant sa solidarité et m’informant de la position du Maroc à un moment où les avions de chasses passaient en franchissant le mur du son au dessus de chez moi à Istanbul. C’était à 1h45 heure marocaine si je ne m’abuse.

Le pouvoir en place en Turquie accuse le mouvement Gülen d’être derrière le coup d’État, mais est-ce que vous en avez les preuves ?

C’est un fait avéré, il n’y a aucun doute. Suite à l’obtention de preuves confirmant l’orchestration de la tentative perfide par Fethullah Gülen, les échanges ont commencé entre nos deux pays pour son extradition dans le cadre des accords bilatéraux en vigueur. Les autorités américaines nous ont proposé de travailler en comité conjoint, suite à laquelle notre ministre des Affaires étrangères a déjà partagé avec la presse son intention d’effectuer une visite à Washington dans les jours qui viennent accompagné de notre ministre de la Justice.

Certains ont pourtant pointé du doigt ce qu’ils jugent comme étant des dérives autoritaires du président turc dans sa gestion du post coup d’État…

Tout au long du processus, tous les partis politiques et les membres de la Grande assemblée nationale turque ont fermement défendu la démocratie, la politique démocratique, les institutions démocratiques et la Constitution. Aujourd’hui, il y a un consensus national et une solidarité du peuple et de toutes les tendances politiques. Je vous réfère à la déclaration adoptée à l’unanimité au Parlement. Nous avions vécu par le passé des expériences de coups d’État, mais dans la Turquie contemporaine, avec son niveau de développement actuel, il était inimaginable qu’une telle tentative ait lieu dans une société aussi ouverte et démocratique que la société turque. C’est d’ailleurs la raison principale de l’échec de cette tentative, qui a montré que de telles aventures irréalistes auront le même aboutissement.

Ibrahim Halil Sakli, le chargé des affaires à l’ambassade de Turquie au Maroc, avait déclaré que la chancellerie turque a pris contact avec le ministère des Affaires étrangères du Maroc afin de lui communiquer des informations autour d’institutions du mouvement Gülen installées Maroc. Qu’en est-il?

Avec le Royaume du Maroc, pays frère et ami avec lequel nous partageons non seulement une histoire mais aussi une vision commune, nous avons une coopération étroite et multidimensionnelle couvrant différents domaines, notamment celui de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Je ne suis pas en mesure de partager publiquement les éléments de nos échanges qui nécessitent la discrétion vu qu’ils concernent directement la sûreté d’États amis et alliés en question. Toutefois, l’Ambassade de Turquie à Rabat est, et a toujours été, à la disposition des autorités marocaines pour toutes sortes d’informations et de coopération.

Quelle est l’ampleur de la présence du mouvement Gülen au Maroc ?

Je peux vous dire que nous sommes au courant d’une présence, surtout dans le domaine de l’enseignement au Maroc comme c’est le cas dans une grande partie du monde. Mais n’ayant pas de contact avec eux, nous n’avons pas de plus amples information sur leurs activités au Maroc.

Est-ce que vous estimez que l’organisation que vous décrivez comme terroriste représente un danger ?

Les Gülenistes poursuivent une stratégie en se présentant comme démocrates, bénévoles éducatifs, volontaires de la paix et partisans du dialogue interreligieux. Mais, quand on se penche de plus près sur leur organisation, on se rend très vite compte que leurs membres dissimulent leurs véritables identités et endossent des rôles bien différents (gauchiste, conservateur, libéral, religieux …) pour infiltrer des postes clés dans l’armée, la justice, la sécurité intérieure et l’administration étatique. Ce postulat révèle le véritable objectif de la structure, qui se fait appelé le “Mouvement Service” (Hizmet Hareketi) dans les pays où elle exerce ses activités.

Leur formation secrète et leur force de persuasion qui s’appuie sur une longue expérience et de longues années ont donné un professionnalisme qui n’est pas facilement compris à première vue. C’est une société secrète dont l’identité est animée par « un esprit d’élus » radical et par « une dédicace », le cas échéant, ils sont capables d’initier toutes sortes activités illégales, y compris l’assassinat.

Est-ce que vous espérez que le Maroc interdise la confrérie Gülen ?

Suite à la tentative de coup d’État meurtrière, 934 écoles, 15 universités, 109 résidences estudiantines et dortoirs et 35 hôpitaux et établissement de santé appartenant à l’organisation FETÖ (nom utilisé par les officiels turques pour désigner le mouvement güléniste) ont été fermés et confisqués en Turquie. À ma connaissance, l’Azerbaïdjan, le Niger, la Jordanie et la Somalie ont pris déjà la semaine dernière des mesures de fermeture et confiscation similaires vis-à-vis de ces établissements. Ce genre de décisions, étant des affaires intérieures, dépendent bien évidemment de l’appréciation des autorités locales et des lois en vigueur dans les pays concernés. Cela dit, les services du Royaume sont connus et appréciés dans le monde entier par leur efficacité et leur travail minutieux. Je peux donc admettre que les autorités marocaines compétentes ont des connaissances plus profondes et une meilleure évaluation que notre ambassade. Les informations dont nous disposons, qui sont d’ailleurs limitées, ont été et seront toujours à leur disposition.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer