A la Biennale de Venise, pas de pavillon marocain mais un du «Sahara occidental»

La Biennale d'architecture de Venise compte un pavillon représentant le « Sahara Occidental ». L'architecte Tarik Oualalou s'en insurge, nous publions sa tribune, ainsi qu'une mise en contexte.

Par

L'installation de Manuel Herz. Crédit : Tommaso Bernabo.

En 2014, le Maroc participait pour la première fois à la Biennale d’architecture de Venise. Cette année, le royaume n’est pas représenté à la prestigieuse exposition, qui se déroule du 28 mai au 27 novembre. En revanche, une installation représentant le « Sahara occidental » est bien présente. Elle ne possède pas le statut de pavillon national. Pour preuve, elle n’est pas dans la liste des « participations nationales » disponible sur le site officiel de l’exposition, mais est classée dans les « participants ». Et pour cause, cette tente, réalisée par le Suédois Manuel Herz en collaboration avec l’ « Union nationale des femmes sahraouies » n’est ni dans l’exposition principale, ni au niveau des pavillons nationaux, mais dans le jardin. Dans une interview publiée sur le site spécialisé Stylepark.com, l’architecte suédois (basé en Suisse) assure qu’il s’agit d’un emplacement choisi : « Il était très important pour nous d’avoir ce chevauchement ambivalent entre l’exposition principale et les pavillons nationaux. Après tout, on appelle notre contribution Sahara occidental mais il ne s’agit pas d’une nation reconnue par tous ».

Crédit : Tommaso Bernabo.
Crédit : Tommaso Bernabo.

Dans un article du quotidien britannique The Guardian, Manuel Herz explique l’installation. Cette tente illustre que malgré la situation de conflit, des sahraouis ont réussi d’après lui à construire sur place « un lieu d’émancipation et d’auto-gouvernance, vraiment démocratique, et non pas un lieu de misère ». François de Font-Réaulx, assistant de l’architecte qui nous a répondu de sa part, précise : « Il trouve les camps des Sahraouis très intéressants car ils contredisent les préjugés (occidentaux) de ce que sont les camps […] Les Sahraouis ont utilisé les camps de réfugiés comme un outil d’émancipation et ont transformé et modernisé leur société. […] Cela est unique et pourrait former un modèle de comment d’autres camps de réfugiés dans le monde pourraient être organisés ». Si pour Manuel Herz, les camps sont « un outil d’émancipation », rappelons que les camps de Tindouf ne jouissent pas d’un système politique démocratique et que leurs dirigeants refusent leur recensement.

Manuel Herz roule-t-il pour le Polisario ? S’agit-il d’un militant qui a pour habitude de soutenir des mouvements séparatistes ? L’architecte assure par l’intermédiaire de son collaborateur n’avoir « aucune connexion personnelle avec la région » et justifie ce travail par le fait qu’il « s’intéresse depuis des années au sujet des espaces des réfugiés. Il a écrit de nombreux textes, articles et livre à ce sujet. Il a étudié les camps de toutes l’Afrique mais il s’est concentré sur les camps Sahraouis du sud-ouest de l’Algérie ».

Les organisateurs ont monté un site dédié au projet.

Tribune. Le pavillon du pays qui n’existait pas
L’architecte marocain Tarik Oualalou était le commissaire scientifique du pavillon marocain de 2014. A cette occasion, il avait justement mis à l’honneur le Sahara, tout comme en 2015 lors de l’exposition Maroc contemporain à l’institut du monde arabe. Voici sa tribune.

 

oualalouQuand l’engagement n’était pas un style mais une cause. Cette Biennale devait être Notre Biennale. Celle d’une architecture qui s’ancre dans le monde, qui ne refuse pas son engagement politique, son inscription dans une dimension sociale et humaine, et qui veut vivre dans une économie réelle. On ne peut qu’être d’accord avec la position du commissaire Alejandro Aravena dans son ambition de partager sa trajectoire intime et personnelle, de rechercher dans le monde des échos et au fond d’essayer de constituer une scène alternative. Mais cette mondialisation trop rapide d’un discours se fait forcément en approchant les sites et les situations de manière générique, faisant disparaître ce qui fait la nature de l’engagement : la connaissance des territoires.On est pris en otage d’une architecture bien pensante qui fait disparaître la dimension critique du projet et qui fabrique une écriture qui esthétise les stigmates de la misère humaine. On peut alors tout dire, tout montrer, tout falsifier pour autant que l’on se donne l’apparat de la Résistance.

Angélisme et naiveté. Quand le commissaire et la biennale proposent la réalisation d’un pavillon pour le « Sahara Occidental » dans les Giardini, nous ne sommes plus dans la pensée critique et résistante mais dans un projet instrumentalisé de propagande. Je m’explique. Pour avoir moi-même assuré le commissariat pour un pays, je peux témoigner de la très grande précision de la charte de la Biennale dans la relation diplomatique et bilatérale que constitue la création d’un pavillon national. Il va s’en dire que cela se fait avec des pays existants… reconnus…et légitimement représentés. En d’autre termes, je n’aurais pas pu réaliser le pavillon de la république indépendante Venitienne ou Tessinoise. La notion d’un état du Sahara Occidental est une fantaisie dangereuse sans base historique, qui s’est simplement infiltrée dans le processus de décolonisation du Maroc.Ici des populations saharouies qui vivent dans des conditions infamantes, littéralement prisonnières dans des camps en Algérie et privées des droits les plus fondamentaux, sont en plus prises en otage dans un projet personnel dont on a du mal à comprendre et la légitimité et la pertinence.

Ambiguïté ou ambivalence ? Il est nécessaire de parler de tout et l’étude architecturale de ces camps de réfugiés est un sujet passionnant, il faut néanmoins le faire de manière savante et équilibrée et pourquoi pas… architecturale. Cette installation, volontairement indépendante du pavillon central, joue seulement de l’ambiguïté de son positionnement. Le responsable de ce « pavillon », Manuel Herz, affirme que cette « ambiguïté n’est pas un accident » mais un geste politique assumé. Par qui ? A vouloir forcer l’architecture dans une dimension politique caricaturale, on en oublie parfois de faire de l’architecture.[/encadre]
 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer