Comment la RSE est-elle pratiquée au Maroc ? S’agit-il uniquement d’un effet de mode ou peut-on parler de l’émergence d’une réelle culture de la RSE dans le tissu entrepreneurial marocain ?
La RSE se diffuse au Maroc, comme dans les autres pays en développement, sous l’effet de facteurs institutionnels, des pressions des parties intéressées et des choix stratégiques de l’entreprise comme le démontrent plusieurs recherches effectuées dans ce sens.
Toutefois, la pression des parties intéressées reste le facteur prépondérant, qu’il s’agisse des pressions des clients, des investisseurs, des actionnaires, des représentants des employés ou encore des communautés locales. La recherche d’un avantage concurrentiel ou du renforcement de positions stratégiques, notamment dans les secteurs très concurrentiels, viennent en deuxième lieu.
Les facteurs institutionnels tels que la réglementation, la régulation, les normes, les programmes portés par l’Etat concourent moins à l’institutionnalisation de la RSE, ce qui est un paradoxe dans un pays où l’Etat et ses institutions ont un poids socio-économique indéniable.
Bien au contraire la RSE marocaine est plutôt explicite, très volontaire comparé à la RSE implicite en Europe où l’Etat social joue un rôle moteur et incitateur. La RSE marocaine est une RSE plutôt sociale, pragmatique et portée par les valeurs des entrepreneurs.
Quelles sont les limites de la pratique de la RSE au Maroc ?
“Il est vrai que beaucoup d’entreprises considèrent la RSE comme une question d’image et de branding”
Il est souvent reproché aux entreprises de faire plus de la RSE communicante ou greenwashing. Ce n’est pas vrai pour l’ensemble des entreprises mais il est vrai que beaucoup d’entreprises considèrent la RSE comme une question d’image et de branding.
Ma modeste expérience auprès de plusieurs comités exécutifs m’a permis aussi de découvrir un manque de connaissances sur la RSE comme démarche stratégique et l’importance de son intégration dans la stratégie et les opérations. Cette question d’éducation et de formation sur la RSE reste ainsi un grand frein.
L’approche de court terme limite aussi l’engagement des dirigeants. Souvent ils attendent un retour sur investissement sur ce qui peut sembler comme une charge supplémentaire à supporter. Enfin, l’absence d’institutions pour promouvoir la RSE, concevoir des politiques publiques pour se positionner sur les opportunités du développement durable et de la RSE.
Regardez le débat sur le cadre légal relatif aux énergies renouvelables ou encore le retard pris dans le déploiement du cadre relatif à l’économie circulaire le cadre légal et opérationnel des entreprises sociales, ainsi que des filières entières et des centaines de milliers d’emploi sont sacrifiés pour faire plaisir à un conservatisme d’Etat et aux sacrosaints équilibres financiers de certains organismes.
Quel rôle l’Administration peut-elle jouer pour favoriser l’émergence d’une culture RSE/RSO au Maroc?
Comme expliqué ci-dessus, la RSE au Maroc a besoin d’un coup de boost institutionnel. Le Nouveau modèle de développement a d’ailleurs proposé un rôle plus social de l’Etat et une responsabilisation du secteur privé.
Dans ce sens, l’Etat gagnerait à accélérer le déploiement effectif et efficace de toutes institutions et politiques permettant à ses entreprises et celles du privé d’adopter les normes de bonne gouvernance, lutter contre la corruption sous ses différentes formes, appliquer la masse incroyable de réglementation que nous avons adoptée sur les vingt dernières années dans les domaines social et environnemental et mettre sur les rails l’économie sociale et solidaire, ou tiers secteur comme l’appelle le NMD, pour que les entreprises contribuent aux côtés du secteur public à adresser les différents enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la société marocaine.
Comme vous le savez, l’Etat seul, l’entreprise seule et la société civile seule ne peuvent réussir face à ces différents enjeux, la coopération et la collaboration institutionnelles et opérationnelles sont nécessaires, l’ONU en a fait un ODD à part entière dans sa charte de 17 ODD.
Les crises sanitaires et économiques liées à la pandémie de Covid-19 ont-elles provoqué une prise de conscience de la part des dirigeants d’entreprises sur le bien-fondé d’adopter une politique RSE ? Si oui, comment ?
Oui, sur au moins deux volets. D’abord sur le volet social, c’est-à-dire en relation avec les conditions de travail, voire dans certains cas l’initiation d’une bienveillance managériale au sein des entreprises, d’autre part sur le volet sociétal notamment la prise de conscience que l’entreprise peut jouer un rôle clé aux côtés de l’Etat pour faire face à la situation d’urgence.
“Durant la crise du Covid, il y a les entreprises qui ont soutenu leurs fournisseurs en réglant dans les meilleurs délais les factures, il y a celles qui ont permis à des milliers d’enfants de continuer à accéder à l’éducation”
Sur ce deuxième volet, plusieurs entreprises ont contribué. Il y a celles qui ont soutenu leurs fournisseurs en réglant dans les meilleurs délais les factures, il y a celles qui ont permis à des milliers d’enfants de continuer à accéder à l’éducation, celles qui se sont réinventées pour faciliter à des petites entreprises ou des coopératives d’accéder au marché.
J’ai à l’esprit cette chaîne GMS qui a accéléré sa digitalisation et la création de filières de produits Made in Morocco. Il reste maintenant à transformer l’essai et à large échelle en imaginant des modèles collaboratifs Etat, Collectivités Territoriales, Entreprises et Société Civile.
En 2018, trois marques commerciales ont été frappées par une vague de boycott de leurs produits née sur les réseaux sociaux. Cela posait-il – à l’époque – un enjeu de RSE ?
Je ne connais pas les détails des facteurs qui ont déclenché ce boycott. Un seul cas laissait penser que le traitement commercial peu équitable des fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement a été un sujet de RSE qui a contribué à l’amplification du mouvement de boycott ; d’ailleurs, à son issue, le modèle de rémunération de ces fournisseurs a été revu.
Dans les deux autres cas je n’ai pas mémoire d’actions post-boycott qui seraient reliées à des enjeux de RSE. Ceci dit, il ne faut pas sous-estimer la montée progressive du pouvoir des consommateurs, appuyée par les réseaux sociaux, vis-à-vis des marques au Maroc.