Le tourisme est un moteur clé de l’économie marocaine, représentant plus de 7% du PIB national. Ce secteur joue un rôle majeur dans le dynamisme du pays. Selon Salah Chakour, expert en tourisme, “le tourisme est une activité à forte valeur ajoutée : quand il fonctionne, tous les secteurs économiques en bénéficient”.
Cette interconnexion est particulièrement visible en 2024. À fin octobre, le Maroc a accueilli 14,6 millions de touristes, dépassant, en seulement 10 mois, le record absolu de l’année 2023. “Cela témoigne de la vitalité du secteur, malgré les défis”, affirme l’expert en tourisme.
Dans ce contexte, l’hôtellerie, un pilier du tourisme, continue d’évoluer pour répondre aux nouvelles attentes des voyageurs. Autrefois, les hôtels de luxe se distinguaient par leurs chambres élégantes et leurs vues imprenables. Aujourd’hui, les exigences ont changé. Les visiteurs cherchent désormais bien plus qu’un simple hébergement : ils souhaitent une immersion totale dans la culture locale.
“L’hébergement n’est plus un simple service, il est devenu une véritable expérience”, souligne Salah Chakour
“L’hébergement n’est plus un simple service, il est devenu une véritable expérience”, souligne Salah Chakour. La gastronomie, en particulier, est devenue un facteur déterminant. “Ce qui était autrefois relégué au second plan est désormais un levier stratégique pour les établissements”, précise-t-il.
Un levier du tourisme
Le royaume, riche de ses traditions gastronomiques, est bien placé pour faire de la cuisine une porte d’entrée vers l’histoire et le terroir du pays. Dans les villes impériales, où se croisent les influences amazighes, andalouses et orientales, la cuisine marocaine s’est forgée au fil des siècles, marquée par des techniques de cuisson ancestrales et des mariages de saveurs audacieux.
Cette identité culinaire, aujourd’hui reconnue à l’international, est un atout majeur pour l’hôtellerie de luxe. Des plats iconiques tels que le tajine, la pastilla, le couscous, en passant par les pâtisseries traditionnelles comme les cornes de gazelle, racontent l’histoire du pays dans chaque bouchée. “La cuisine marocaine est souvent perçue comme l’une des meilleures du monde, et plusieurs rapports ou classements internationaux confirment cette réputation”, souligne Rita Touzani, consultante en tourisme et événementiel.
“Bien que la cuisine marocaine soit mondialement reconnue comme l’une des meilleures, elle n’est pas toujours mise en avant comme un levier touristique majeur”
Pourtant, dans de nombreux hôtels, ces spécialités sont souvent éclipsées par des buffets internationaux. “Bien que la cuisine marocaine soit mondialement reconnue comme l’une des meilleures, elle n’est pas toujours mise en avant comme un levier touristique majeur”, ajoute l’experte en tourisme.
Selon elle, les restaurants marocains traditionnels disparaissent progressivement, confrontés à la concurrence des chaînes internationales, notamment dans des destinations comme Marrakech. “Le consommateur marocain ne consomme malheureusement pas marocain. Il préfère le manger chez soi”, constate-t-elle. Elle ajoute que le Maroc mise aujourd’hui sur des menus internationaux, un choix stratégique pour promouvoir le tourisme, mais qui ne doit pas se faire au détriment de ses racines gastronomiques.
Dans les hôtels de luxe marocains, la cuisine internationale se fait de plus en plus présente, avec des chefs de renommée mondiale qui viennent enrichir l’offre culinaire. L’attrait croissant pour des expériences gastronomiques raffinées est palpable. Au Royal Mansour Marrakech par exemple, la cheffe Hélène Darroze allie parfaitement les saveurs marocaines et françaises, créant ainsi des plats raffinés qui attirent une clientèle internationale.
Au Four Seasons Resort Marrakech, Jean-Georges Vongerichten, chef étoilé, mêle innovation et tradition pour proposer une expérience culinaire unique. À Casablanca, des chefs comme Sofiane Tabet et Akrame Benallal, étoilé Michelin, insufflent une touche moderne aux restaurants de luxe, tels que le Four Seasons Hotel et La Maison Arabe, avec des menus qui allient les saveurs locales à des influences mondiales.
Comment préserver l’authenticité de la gastronomie marocaine face à cette mondialisation culinaire ?
Même à Agadir, des établissements comme le Sofitel Agadir Thalassa et le Fairmont Taghazout Bay font appel à des chefs prestigieux comme Thierry Marx pour proposer des menus où la haute gastronomie se marie parfaitement avec les saveurs locales.
Si cette ouverture à une cuisine internationale s’avère être un atout indéniable pour attirer une clientèle cosmopolite, elle soulève néanmoins une question cruciale : comment préserver l’authenticité de la gastronomie marocaine face à cette mondialisation culinaire ?
Salah Chakour rappelle que “les touristes ne viennent pas pour manger ce qu’ils trouvent chez eux. Ils recherchent une authenticité que nous avons le devoir de leur offrir”
Salah Chakour rappelle que “les touristes ne viennent pas pour manger ce qu’ils trouvent chez eux. Ils recherchent une authenticité que nous avons le devoir de leur offrir”. Le Maroc, avec ses traditions culinaires uniques, possède un patrimoine gastronomique inestimable qu’il serait dommage de négliger au profit de tendances mondiales. C’est cette authenticité qui, souvent, marque leur séjour et leur donne envie de revenir.
Salah Chakour poursuit : “Il faut que chaque plat raconte une histoire, celle de notre terroir, de notre histoire.” Et c’est bien là que réside le défi pour les chefs et les établissements de luxe : réussir à marier cette demande croissante pour la cuisine internationale avec l’essence même de la cuisine marocaine.
Fouzi Zemrani, expert en tourisme, complète : “Plutôt que d’abandonner notre héritage culinaire, il est essentiel d’en garantir la qualité. Si le consommateur marocain se détourne de la cuisine marocaine, c’est souvent parce que l’offre actuelle ne correspond pas à ses attentes.” L’enjeu est donc de repenser et de sublimer la cuisine marocaine, en la rendant accessible, tout en préservant son authenticité.
Qualité avant quantité
Pour que ce défi soit relevé, il est nécessaire d’établir des normes claires et de renforcer la qualité globale des prestations. Salah Chakour plaide pour la création d’un label Maroc dans le domaine gastronomique, accompagné d’une charte de qualité qui permettrait d’assurer une certification rigoureuse des établissements.
“Le tourisme est un secteur essentiel à l’économie nationale et son impact est considérable. Il est donc impératif de renforcer la formation des ressources humaines, notamment en hôtellerie et restauration, afin de mettre à niveau les établissements”, explique-t-il.
En vue des grands événements à venir, comme le Mondial 2030 et la Coupe d’Afrique en 2025, il apparaît crucial de consolider ces efforts par des partenariats stratégiques et des collaborations avec les coopératives et la profession touristique. Cette démarche permettrait d’assurer une meilleure qualité et une meilleure représentation de la cuisine marocaine tout en s’adaptant aux nouvelles tendances mondiales.
Aujourd’hui, les visiteurs recherchent de plus en plus des expériences immersives où chaque détail – des ingrédients à la manière de servir un plat – incarne l’identité culturelle du pays. Le concept “farm-to-table” est un parfait exemple de cette quête de sincérité, en privilégiant des produits locaux et des pratiques durables.
Selon Salah Chakour, “le tourisme rural pourrait devenir l’essence même de l’expérience culinaire marocaine. Imaginez un visiteur savourant un tajine aux abricots préparé avec des produits frais de la ferme voisine, dans un cadre authentique. C’est une expérience inoubliable.”
Fouzi Zemrani confirme : “Ce modèle valorise le terroir tout en dynamisant l’économie rurale. Il stabilise les communautés locales et soutient une agriculture durable.” Toutefois, il souligne un manque de savoir-faire en matière de valorisation de ces traditions : “Nous avons du mal à raconter et à vendre nos traditions.”
Bien que ce modèle soit prometteur, il peine encore à se déployer à grande échelle, freiné par des coûts élevés et un manque de soutien structurel. Pour Salah Chakour, encourager le tourisme rural et promouvoir des initiatives comme le “farm-to-table” serait une opportunité pour le Maroc.
“Cela pourrait générer de la richesse et stabiliser les populations rurales en les incitant à créer des entreprises locales de restauration thématique, valorisant la cuisine régionale.” Une telle démarche donnerait une nouvelle dimension à la gastronomie marocaine, en la mettant en valeur tant au niveau local, régional que national.
“Nous avons choisi de faire de notre établissement une destination culinaire unique à Tanger, alliant haute gastronomie, street-food et cuisine de marché. Cette diversité répond à une clientèle variée, tout en mettant en avant les produits locaux”
Un bel exemple de cette évolution est celui du Hilton Tangier Al Houara Resort&Spa. Mohamed Zai, chef exécutif de l’établissement, nous explique comment l’hôtel a su se démarquer : “Nous avons choisi de faire de notre établissement une destination culinaire unique à Tanger, alliant haute gastronomie, street-food et cuisine de marché. Cette diversité répond à une clientèle variée, tout en mettant en avant les produits locaux.”
Pour moderniser la cuisine marocaine sans sacrifier son authenticité, Zai et son équipe réinventent les classiques en y apportant des touches contemporaines et en privilégiant les produits de saison, préservant ainsi l’âme du terroir. La durabilité est désormais une priorité pour de nombreux voyageurs.
Mohamed Zai détaille les initiatives du Hilton Houara : “Nous cultivons notre propre potager, optons pour la pêche durable et collaborons avec des coopératives locales. Ces efforts ont été récompensés par le Community Spirit Award Morocco 2024.”
Cependant, comme le souligne Salah Chakour, ces démarches restent encore rares à l’échelle nationale : “Les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Les pratiques durables doivent être authentiques, bien au-delà d’une simple stratégie marketing.”
En conjuguant tradition, innovation et durabilité, le Maroc a l’opportunité de se positionner comme un leader mondial dans le domaine culinaire, tout en restant fidèle à ses racines et aux enjeux environnementaux contemporains. “Le défi réside dans notre capacité à affirmer notre identité culinaire avec audace, tout en nous inscrivant dans une dynamique responsable et respectueuse des générations futures”, conclut Rita Touzani.
Un équilibre subtil, mais porteur d’un immense potentiel, qui pourrait bien faire du Maroc une référence incontournable, tant sur le plan gastronomique qu’éco-responsable, à l’échelle mondiale.
Tourisme sportif : au-delà des infrastructures
Le tourisme sportif au Maroc connaît un essor considérable, attirant à la fois des visiteurs locaux et internationaux. Toutefois, pour assurer la pérennité de cette dynamique, il est crucial de penser au-delà de la seule modernisation des infrastructures sportives. “Rénover les stades ne suffit pas. Il faut aussi développer des services annexes comme l’hébergement, la restauration et les activités culturelles pour offrir une expérience complète aux visiteurs”, souligne Salah Chakour, expert en tourisme.
Il insiste également sur la formation des ressources humaines : “La formation continue des professionnels est essentielle pour garantir un service de qualité et répondre aux attentes des touristes.”
Selon lui, la gastronomie joue également un rôle clé dans l’attractivité touristique du pays. “Pour que le tourisme sportif au Maroc se développe pleinement, il est impératif d’adopter une approche globale qui combine modernisation des infrastructures, formation des professionnels et valorisation de la culture locale”, conclut-il.
L’influence, un atout à maîtriser
Les influenceurs occupent désormais une place centrale dans la promotion des restaurants et hôtels, séduisant une clientèle avide de découvertes et d’authenticité. Leur pouvoir sur les réseaux sociaux est indéniable, mais suffit-il vraiment ? Pour Rita Touzani, experte en tourisme, la réponse est claire. “Les chefs et experts sont dans leurs cuisines”, affirme-t-elle, pointant une réalité parfois oubliée : l’écart entre l’influence numérique et la légitimité professionnelle.
Pendant que les chefs s’affairent à sublimer saveurs et textures, loin des projecteurs, les influenceurs captivent des milliers d’abonnés en un clic. Mais à quel prix ? “Une collaboration peut être fructueuse, mais elle doit préserver la crédibilité des établissements”, rappelle l’experte. “Il ne s’agit pas de sacrifier la qualité sur l’autel de la popularité”, poursuit-elle.
Dans un secteur où la gastronomie marocaine cherche à affirmer son excellence sur la scène internationale, le choix des partenaires devient stratégique. Si les influenceurs peuvent ouvrir des portes, leur légitimité à parler de ce qu’ils ne maîtrisent pas pose question. “Un défi de taille dans une industrie où chaque plat raconte une histoire que seuls les vrais experts savent mettre en lumière”, conclut Rita Touzani.