Sara (prénom modifié) et six collègues marocaines ont déposé plainte en juin contre l’homme d’affaires et plusieurs de ses collaborateurs visés par une vaste enquête de harcèlement sexuel au Maroc. Une nouvelle audition est prévue jeudi devant un juge d’instruction marocain au cours de laquelle une confrontation est prévue entre des suspects et des plaignantes.
Âgé de 75 ans, l’homme d’affaires, une des grandes fortunes de France, a été mis en examen et incarcéré le 21 mai à Paris avec cinq autres personnes dans une autre affaire.
Pour Sara, 28 ans, c’est à l’été 2018 que le “cauchemar” a commencé. “Quand il (Jacques Bouthier) venait au Maroc, il passait toujours dire bonjour à l’ensemble des salariés”, se remémore Sara, ex-agente commerciale à Euro Assurance, filiale d’Assu 2000 implantée à Tanger. “Ce jour-là, je portais une combinaison short. Il me serre la main, regarde avec insistance mes cuisses puis il me dit que j’ai l’air de sortir d’une boîte de nuit et que ça lui plaît.”
“J’étais choquée, mais ses remarques semblaient normales pour tout le monde. On m’a dit ‘C’est Jacques, il lance toujours des phrases comme ça’”, témoigne Sara, qui a travaillé quatre ans pour la succursale marocaine d’Assu 2000 (rebaptisée depuis Vilavi). À l’époque, la jeune femme préfère faire profil bas et passe l’éponge sur les propos déplacés du patron, sans se douter qu’il serait incarcéré en France pour traite humaine et viols sur mineure. L’ex-PDG conteste ces faits.
Système Bouthier
C’est tout “un système Bouthier” que dénoncent les plaignantes marocaines. Neuf cadres du groupe d’assurance (trois Français et six Marocains, dont deux femmes) sont sous le coup de l’enquête tangéroise. Six sont en détention provisoire, les trois autres en liberté. L’AFP n’a pas pu joindre la défense des mis en cause.
Les ennuis de Sara empirent en 2020 lorsqu’à la suite d’une “réclamation” d’un client mécontent, Jacques Bouthier en profite pour lui demander de lui envoyer des photos et la harceler. Elle refuse, mais il revient à la charge en réclamant qu’elle lui présente “une petite sœur, une cousine ou une copine” contre un “beau cadeau”. “Dans mes réponses, j’étais diplomate car j’avais peur de perdre mon travail, mais dans ma tête il était hors de question de rentrer dans son jeu”, dit-elle.
Le lendemain, Sara décide d’en parler à ses supérieurs qui ne la prennent pas au sérieux. “L’un d’eux m’a même dit que c’était de ma faute”. M. Bouthier refait surface quelques mois plus tard et demande à voir Sara “dans un cadre privé, mais je ne cède pas”, assure-t-elle, montrant des messages WhatsApp qu’elle a échangés avec le patron français.
Quand, au bout de trois ans chez Euro Assurances, la jeune Marocaine demande une promotion, ses supérieurs lui rétorquent que “Jacques n’est pas content”. “J’ai compris que je n’avais plus d’avenir dans cette boîte si je continuais à refuser ses avances”, affirme Sara. “Je culpabilisais, je ne me sentais pas bien. J’avais des idées suicidaires tellement le cadre de travail était pesant”, ajoute-t-elle.
“Il disait que j’étais coquine, que j’avais de jolis seins. C’était insupportable”
Au printemps 2020, un voyage au Panama offert par l’entreprise à certains de ses employés la plonge dans le désarroi. “Durant le voyage, j’avais constamment droit à des remarques sur ce que je portais. Il disait que j’étais coquine, que j’avais de jolis seins. C’était insupportable”, se souvient-elle. À son retour à Tanger, la santé mentale de Sara se dégrade. Une psychiatre la met en arrêt maladie pendant 15 jours. “Deux jours avant que je ne reprenne le travail, le scandale Bouthier éclatait en France. Je n’étais pas surprise”, se rappelle-t-elle.
La parole des jeunes employées commence alors à se libérer sur un groupe Facebook. Avec l’appui de l’Association marocaine des droits des victimes, sept d’entre elles portent plainte. “C’était un grand pas ! Toute seule, j’aurais été broyée. Le fait qu’on soit toutes ensemble, même si on ne se connaissait pas auparavant, c’est rassurant”, se félicite Sara, qui dit “commencer à sortir la tête de l’eau”. Mais le “combat continue jusqu’à ce que justice soit faite”.