Cet avis fait suite à une décision du Conseil de la concurrence par laquelle il s’est saisi d’office de l’étude de l’impact de la flambée des prix des intrants et des matières premières au niveau mondial sur le fonctionnement concurrentiel des marchés nationaux, notamment les produits énergétiques.
Ainsi, l’objectif principal assigné à cet avis est, dans un premier temps, de répondre à la question de savoir si les hausses des prix de vente du gasoil et de l’essence sur le marché national sont corrélées ou non aux cours et cotations de ces matières sur le marché mondial et, dans un second temps et en fonction des réponses obtenues, d’analyser l’impact de ces hausses sur la situation de la concurrence dans les marchés concernés.
Une réglementation obsolète
Selon l’instance d’Ahmed Rahhou, malgré la libéralisation, le secteur des hydrocarbures demeure un marché très encadré par une réglementation devenue “obsolète”. Aussi, ce marché est totalement dépendant des importations de l’étranger et dont les volumes sont en constante augmentation.
Dans ce sens, le rapport rappelle que “le principal texte de loi encadrant ces marchés et qui est toujours en vigueur est le Dahir portant loi n° 1-72-255 du 22 février 1973 sur l’importation, l’exportation, le raffinage, la reprise en raffinerie et en centre emplisseur, le stockage et la distribution des hydrocarbures”.
Ce sont, donc, des marchés qui sont régis par un cadre légal et réglementaire très ancien, devenu obsolète ne tenant pas compte des grands changements tant au niveau national qu’international, critique la même instance.
À cet égard, le document souligne que “même si ce cadre légal a connu un changement en 2015 par la promulgation d’une nouvelle loi, à savoir la loi n° 67.15 (modifiant le dahir de 1973, ndlr), celle-ci n’est toujours pas entrée en vigueur sept ans après sa publication, du fait de l’absence de ses textes d’application”.
Des marges élevées
Le document rappelle, implicitement, le rôle stratégique de la raffinerie nationale SAMIR, déclarée en liquidation judiciaire en 2016 : “Le conseil fait état d’une forte concentration au niveau des marchés de l’importation et du stockage dont le niveau se situe généralement en dessous du seuil prévu par la réglementation.”
Et d’ajouter : “les cotations mondiales du pétrole brut et des produits raffinés (gasoil et essence) sont en forte hausse depuis le début du 2e semestre de 2021 et il existe une forte corrélation entre les cours du baril de pétrole brut, les cotations des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national durant les années 2018 et 2019”.
Il souligne également un affaiblissement de la corrélation entre les cours du baril de pétrole brut, les cotations des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national durant les années 2020 et 2021 ainsi que les quatre premiers mois de 2022, et une répercussion immédiate des hausses des cotations à l’international et décalée dans le temps en cas de baisses.
Quant à la marge brute de distribution, le document souligne qu’elle constitue la troisième et dernière rubrique composant le prix de vente final au consommateur. Cette marge globale regroupe d’un côté, la marge des sociétés de distribution (gros) et de l’autre côté, celle des stations-service (détail).
En principe, chaque société de distribution et chaque propriétaire de station-service détermine ses propres marges en fonction de ses propres coûts et charges, de ses stratégies commerciales et de ses appréciations de la situation de concurrence sur le marché, rappelle le Conseil.
Pourtant, les marges des stations-service demeurent inchangées (variant entre 0,35 et 0,5 DH/l) quel que soit le niveau des cours à l’international et du prix de vente sur le marché national.
Ainsi, le tableau ci-dessus fait état de l’évolution des marges commerciales brutes des différentes sociétés de distribution sur les deux produits (gasoil et essence) entre 2018 et 2021, et janvier et avril 2022.
Pour le gasoil comme pour l’essence, le rapport indique qu’à l’exception de la société Petrom qui se distingue par une marge quasi-linaire sur toutes les périodes (0,35-0,39 DH/l), l’ensemble des autres sociétés ont vu leurs marges augmenter entre 2018-2020 avant de baisser légèrement en 2021 pour s’établir en moyenne à 0,9 DH/l pour le gasoil et à 0,84 DH/l pour l’essence.
Les marges dégagées en 2021, même après avoir baissé comparativement à 2020, restent toutefois supérieures à celles réalisées en 2018 et en 2019, déplore le conseil de Rahhou.
Conclusion : “Les sociétés de distribution n’auraient pas profité de la forte chute du cours sur le marché international pour gagner des parts de marché par le jeu de la libre concurrence et auraient opté pour une augmentation de leurs marges.”
Un constat qui est corroboré par l’analyse du niveau de corrélation : les cotations à l’international ont baissé de 1,73 DH/l alors que les prix de vente sur le marché national n’ont chuté que de 1,18 DH/l, soit un écart de 0,55 DH/l.
Des sociétés qui continuent à s’enrichir
Selon le Conseil de la concurrence, “la distribution du gasoil et de l’essence demeure la partie la plus prépondérante dans le chiffre d’affaires global (2018-2021) de ces sociétés. En effet, l’activité de distribution du gasoil et de l’essence représente 70 % du chiffre d’affaires en moyenne chez Afriquia SMDC et 75 % chez Vivo Energy Maroc et TotalEnergies Marketing Maroc. Il atteint même 91 % du chiffre d’affaires des sociétés Petrom et Winxo”.
Concernant les taux de marges, ils diffèrent remarquablement selon les opérateurs, d’un minimum de 1,2 % à un maximum de 9,9 %. Ainsi, Ola Energy et Petrom affichent les taux les plus faibles, entre 1,2 % et 3,1 %, en comparaison avec les autres sociétés.
En revanche, les sociétés Winxo et TotalEnergies Marketing Maroc arrivent en tête du classement avec des ratios qui dépassent généralement les 5 %, frôlant même 9,9 % dans le cas de Winxo en 2020. Afriquia SMDC a, quant à elle, enregistré des taux de marge nette globale aux alentours de 2,5 % sur toute la période allant de 2018 à 2021.
Enfin, le Conseil critique également une répercussion immédiate des hausses des cotations à l’international et décalée dans le temps en cas de baisse : “En général, les prix de vente des sociétés de distribution sont fixés par les opérateurs une fois tous les quinze jours. Toutefois, pendant certaines périodes, les opérateurs ont appliqué deux ou plusieurs changements de prix de vente à la hausse par quinzaine. Tel a été le cas durant les mois de mars, d’avril et de juillet 2022.”
Ainsi, en cas d’augmentation des prix de vente à l’international, ces opérateurs répercutent immédiatement les hausses des cotations, mais, “en cas de baisses, ils cherchent, d’abord, à écouler le stock des produits achetés auparavant à un prix plus élevé et sont même tentés de consolider leurs marges, voire de les augmenter”, résume-t-on.