Face au manque d’eau, les habitants des communes rurales de la province de Settat entre larmes et fatalisme

“Voir des villageois courant chaque matin à la fontaine ou chez un voisin pour récupérer de l’eau donne envie de pleurer”, confie Mohamed Sbaï, qui a abandonné l’agriculture à cause des sécheresses successives qui frappent son village isolé, à moins de deux kilomètres du deuxième plus grand barrage du royaume, Al Massira.

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Un troupeau de moutons marche sur de la terre fissurée au barrage d'Al Massira dans le village d'Ouled Essi Masseoud, à environ 140 kilomètres au sud de Casablanca, le 8 août 2022. La pire sécheresse du pays depuis au moins quatre décennies. Crédit: Fadel Senna / AFP

Village aux terres autrefois fertiles, Ouled Essi Masseoud (sud de la province de Settat) est désormais durement touché par le stress hydrique qui menace tout le Maroc. Privée d’eau potable courante, cette localité située au pied de collines s’approvisionne uniquement dans les fontaines publiques ou dans les puits privés.

“La rareté de l’eau nous fait souffrir”

“Les fontaines ne sont opérationnelles qu’un à deux jours par semaine, les puits commencent à se tarir et le fleuve à côté s’assèche de plus en plus”, explique à l’AFP Mohamed Sbaï, ancien paysan. “La rareté de l’eau nous fait souffrir”, poursuit le sexagénaire, en route pour récupérer de l’eau chez des voisins.

La situation est critique au regard de la position géographique d’Ouled Essi Masseoud, situé un kilomètre proche du fleuve Oum Errabiâ et du barrage d’Al Massira, le deuxième plus grand du Maroc.

Un poisson mort au barrage d’Al Massira dans le village d’Ouled Essi Masseoud, le 8 août 2022.Crédit: Fadel Senna/AFP

Le taux de remplissage de ce réservoir, qui alimente en eau potable plusieurs villes, dont Casablanca, n’atteint que 5 %, selon les derniers chiffres officiels.

Sur place, l’ampleur du désastre est spectaculaire. Le réservoir d’Al Massira n’est plus qu’un étang bordé de quelques kilomètres de terre craquelée, jonchée de petits coquillages.

“Stress hydrique structurel”

À l’échelle nationale, les barrages cumulent un taux de remplissage de seulement 27 %. Une situation inquiétante précipitée par la pire sécheresse que traverse le royaume depuis au moins 40 ans.

Avec 600 mètres cubes d’eau par habitant et par an, le Maroc est déjà largement sous le seuil de la pénurie d’eau, estimé à 1700 m3 par habitant et par an, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À titre de comparaison, la disponibilité en eau dans les années 1960 était quatre fois supérieure, à 2600 m3.

Cette donne place le royaume en “situation de stress hydrique structurel”, selon un récent rapport de la Banque mondiale sur l’économie marocaine.

Un enfant sur la terre asséchée du barrage d’Al Massira dans le village d’Ouled Essi Masseoud, à environ 140 kilomètres au sud de Casablanca, le 8 août 2022.Crédit: Fadel Senna / AFP

Face à l’urgence, les autorités ont réagi en rationnant la consommation d’eau. Le ministère de l’Intérieur a ordonné aux autorités locales de restreindre la distribution d’eau quand c’est nécessaire et interdit l’arrosage des espaces verts et des golfs avec de l’eau potable. Les prélèvements illégaux dans des puits, des sources ou des cours d’eau sont également prohibés.

À plus long terme, il a été programmé de construire 20 stations de dessalement d’eau de mer d’ici 2030 qui devraient fournir une bonne partie de besoins du pays en eau potable, selon le ministère de l’Équipement.

“Nous sommes dans une gestion de crise plutôt que dans une gestion de risque anticipé”, souligne auprès de l’AFP l’expert en ressources hydriques Mohamed Jalil, qui juge également “difficile de faire un suivi efficace des mesures prises par les autorités”.

Politique agricole, le talon d’Achille

L’autre talon d’Achille du royaume est la politique agricole “qui privilégie une arboriculture fruitière aquavore et marginalise les petits producteurs”, souligne l’agronome Mohamed Srairi. Selon lui, cette agriculture mise sur l’irrigation goutte à goutte, qui aboutit paradoxalement à une consommation accrue d’eau, pour rendre cultivables des zones arides.

Le Maroc “a triplé” ses surfaces irriguées avec cette technologie et cela peut “avoir modifié les décisions de culture de manière à augmenter plutôt qu’à diminuer la quantité totale d’eau consommée par le secteur agricole”, selon la Banque mondiale.

De fait, plus de 80 % des eaux au Maroc vont à l’agriculture, un secteur clé de l’économie nationale, qui représente 14 % du PIB.

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Non loin du barrage d’Al Massira, Mohamed, un nonagénaire, est posté devant un petit lopin de terre asséché. “On ne laboure plus, car il n’y a plus d’eau”, souffle-t-il, tout en disant “accepter tout de même l’adversité, car on n’a pas le choix”.

Les jeunes générations du village semblent moins résilientes. “Avec la sécheresse, on vit dans une situation précaire”, lâche d’un ton désolé Soufiane, un berger déscolarisé de 14 ans, en regardant le barrage. “J’ai l’impression que ça va encore empirer à l’avenir.”

(avec AFP)