Cette semaine marque une étape cruciale dans l’affrontement technologique entre les États-Unis et la Chine concernant l’intelligence artificielle (IA). Du côté américain, le président a annoncé un investissement de 500 milliards de dollars dans le secteur, tandis que du côté chinois, le monde a été surpris par le lancement de DeepSeek, un modèle dont la performance et l’efficience énergétique pourraient remettre en question la suprématie américaine dans ce domaine. Une chose est sûre : la civilisation humaine va être profondément transformée par la rivalité entre les deux puissances mondiales. Nos vies, nos métiers, notre éducation, notre santé, nos institutions politiques et sociales en seront durablement affectés.
“S’il est légitime que les pays protègent leur patrimoine, leur culture et le savoir-faire de leurs artisans, cette « bataille du zellige » entre le Maroc et l’Algérie illustre l’inquiétante exacerbation des passions nationalistes dans les deux pays”
Pendant ce temps, cette même semaine, le Maroc et l’Algérie se livraient à une autre bataille, une énième controverse autour du zellige. Les deux pays voisins se disputent, depuis plus d’un an, la paternité de cet art ancestral présent au Maghreb et dans la péninsule ibérique. L’utilisation du zellige dans le logo de la CAN, qui sera organisée au Maroc en 2025, a suscité des critiques dans la presse algérienne. Tout comme la présence de ce motif ornemental sur le maillot de l’équipe d’Algérie lors de la précédente édition de la CAN avait provoqué l’indignation au Maroc. S’il est légitime que les pays protègent leur patrimoine, leur culture et le savoir-faire de leurs artisans, cette « bataille du zellige » illustre l’inquiétante exacerbation des passions nationalistes dans les deux pays. Au Maroc, elle nous mène sur une pente dangereuse et vers une vision du nationalisme étrangère à notre histoire politique et à la nature de la société marocaine.
“En contemplant la médiocrité du régime algérien à travers sa propagande qui attise de bas instincts nationalistes, nous avons fini par la reproduire au Maroc”
“Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi”, écrivait Nietzsche dans l’un de ses aphorismes. Cette réflexion s’applique au Maroc sur la question du nationalisme. En contemplant trop la médiocrité du régime algérien, à travers sa propagande qui attise de bas instincts nationalistes, nous avons fini par la reproduire. La contamination est faite et le virus de la fièvre nationaliste circule dans les cœurs et les esprits. Il se manifeste par une hypertrophie de notre ego collectif, l’exhibition démesurée de notre drapeau national et l’invention de concepts creux censés incarner l’âme marocaine.
Or, depuis l’indépendance, le sentiment nationaliste marocain était une force tranquille et modérée. Le Maroc s’est construit un modèle différent du reste du monde arabe sur la question de l’identité et du rapport à l’idée de la nation. Grâce au “génie de la modération”, selon la formule de Hassan II, nous avons pu échapper aux drames de nombreux pays et régimes arabes, victimes de la mégalomanie collective et de l’excitation des passions nationalistes attisées par leurs dirigeants (Nasser, Saddam Hussein…). Nos rapports avec l’étranger sont marqués par le pragmatisme et l’ouverture, mais aussi par la fermeté quand il s’agit de nos propres intérêts historiques et stratégiques. Nous aimons notre pays, sans détester ceux des autres, et nous ne nous sentons ni inférieurs ni supérieurs à eux.
Le caractère tempéré de la société marocaine nous a permis d’éviter le culte de la personnalité et la célébration outrancière d’une identité nationale, fantasmée et glorifiée, dans l’art et la culture du pays. Dans les villes marocaines, on ne retrouve pas de statues de style soviétique à la gloire de nos rois, indiquant un horizon indéterminé à leurs peuples, et notre patrimoine artistique en chansons et films kitsch et patriotiques est assez modeste, en comparaison à d’autres pays arabes.
Ce serait une mauvaise idée de succomber maintenant à l’effet d’une fièvre nationaliste contagieuse. Apprenons donc à nos enfants l’histoire de leur pays, les récits de ses illustres personnalités, la diversité de ses composantes culturelles, la richesse de son patrimoine, mais aussi le goût de la modération, sans arrogance grisante ni dépréciation de soi. C’est à cela que l’on reconnaît les grandes nations.