La réforme de la Moudawana en 2004 était une révolution. Initiée il y a 20 ans, cette première révision du Code de la famille a été le déclencheur d’évolutions majeures pour notre pays. Ce changement de paradigme a mené, après de larges concertations, à l’élaboration d’un nouveau Code présenté au roi Mohammed VI cette semaine. Malgré les acquis de 2004, le Code de la famille contenait des failles menant à de nombreux dysfonctionnements.
Une révision était donc nécessaire. Surtout que, dans le même temps, la société marocaine a évolué, progressivement, ouvrant la voie à une nouvelle vague de réformes. Qui plus est, les rapports de force au sein de notre société ont changé. La frange conservatrice, et plus particulièrement sa représentation politique, se sont davantage affirmées, comme en témoignent les victoires du PJD en 2011 et en 2016. L’année 2021 a été marquée par une inversion du rapport de force, plus favorable à une évolution progressiste de la Moudawana.
La Moudawana touche au religieux, au culturel et au sociétal. Tout projet de réforme allait donc engendrer son lot de clivages. Les plus progressistes estiment que la réforme n’est pas conforme à leurs attentes car trop timide. Les plus conservateurs récitent déjà le latif et dénoncent un Maroc qui s’éloigne davantage des préceptes de l’islam. Le projet de réforme présenté devant le roi constitue un pas de plus vers l’égalité hommes-femmes, sans pour autant l’atteindre. Il garantit aussi une protection accrue du droit des enfants.
L’évolution proposée dans la gestion du divorce est un témoignage du pas en avant effectué par notre société. Les Marocaines peuvent désormais être les tutrices légales de leurs enfants, dont elles pourront conserver la garde même en cas de remariage. Cette nouvelle mouture de la Moudawana consacre également le fait que le divorce n’est pas forcément le fruit d’un conflit.
Les couples pourront désormais se séparer à l’amiable. Les juges ne seront plus autant impliqués. Et les tribunaux de famille pourront être désengorgés. Pour les centaines de milliers de femmes qui ont eu à souffrir des caprices ou dû se soumettre au bon vouloir de leur ex-mari pour n’importe quelle démarche administrative liée à leur enfant, ces mesures devraient constituer un soulagement.
La gestion de la polygamie est un autre témoignage des acquis de notre société. II y a 30 ans, cette pratique était non discutable. Après la réforme de 2004, elle a été soumise à l’approbation préalable de l’épouse. Désormais, la loi permet à une épouse d’interdire la polygamie à son mari. Et même en l’absence de cette interdiction, la polygamie est strictement encadrée dans le but de la rendre exceptionnelle.
L’absence de réforme explicite pour instaurer l’égalité hommes-femmes dans l’héritage pourrait interroger sur cette évolution progressiste de notre société. Mais ce serait ignorer que les bases d’avancées futures ont été posées. Le sujet de l’égalité dans l’héritage était encore tabou il y a 20 ans. Désormais, il est débattu publiquement. Mieux encore, des solutions alternatives ont été proposées par les oulémas pour se rapprocher davantage de cette égalité tant souhaitée.
“Le ministre des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, a justifié le non-recours à l’ADN par la volonté de préserver le système familial traditionnel et d’éviter la création de modèles alternatifs. Des mères célibataires ont donc été sacrifiées sur l’autel de la stabilité sociétale”
Ces solutions existent déjà (lire notre dossier sur l’héritage). Parmi elles, la donation aux héritières avec une jouissance qui n’intervient qu’après le décès du parent donateur. Malgré la légalité de cette pratique, beaucoup rechignaient à l’utiliser, estimant qu’elle n’était pas en adéquation avec l’islam. Les oulémas ont désormais tranché sur sa conformité et son intégration à la Moudawana. On est donc en droit d’espérer que la donation aux héritières se généralise.
L’absence de la reconnaissance de la filiation génétique dans cette nouvelle itération de la Moudawana a de quoi choquer. Mais là encore, les choses avancent. Timidement. Si le nouveau Code ne reconnaît pas la filiation d’un enfant né hors mariage, avec tous les droits qui lui sont associés, il oblige toutefois le père à subvenir aux besoins de l’enfant. Dans son explication, le ministre des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, a justifié le non-recours à l’ADN par la volonté de préserver le système familial traditionnel et d’éviter la création de modèles alternatifs. Des mères célibataires ont donc été sacrifiées sur l’autel de la stabilité sociétale. Un choix discutable.
“La rédaction et l’adoption de la loi qui traduit la réforme de la Moudawana dans les faits devra faire l’objet d’une vigilance forte. Les mesures d’accompagnement joueront un rôle fondamental”
Mais la bataille pour une société plus progressiste est encore loin d’être terminée. La rédaction et l’adoption de la loi qui traduit cette réforme dans les faits devra faire l’objet d’une vigilance forte. Les mesures d’accompagnement joueront un rôle fondamental. A titre d’exemple, il faudra accorder une fiscalité favorable à la donation (voire plus favorable que l’héritage) pour encourager sa généralisation. La proposition de la réforme de la Moudawana est, au final, un reflet assez fidèle du Maroc d’aujourd’hui. Elle est la synthèse d’une frange de la population soucieuse de faire avancer les droits de l’ensemble de ses citoyennes et citoyens et d’un Maroc conservateur, qui se méfie du progrès et qui s’accroche à des traditions aussi injustes et dépassées soit-elles. En somme, une révolution par évolutions.