Ainsi périssent les tyrans

Par Abdellah Tourabi

Ce sont deux événements qui ont eu lieu dans deux pays différents, à quelques jours d’intervalle, mais qui sont porteurs d’enseignements. Le premier s’est déroulé en Corée du Sud, dans la nuit du 3 au 4 décembre, quand le président du pays, Yoon Suk Yeol, a décidé de décréter la loi martiale, interdisant toute activité politique et plaçant les médias sous le contrôle des autorités gouvernementales. L’armée s’est alors emparée du parlement coréen pour empêcher les députés de se réunir.

Une décision surprenante qui a provoqué une réaction extrêmement forte au sein des forces de l’opposition, mais aussi chez les citoyens coréens. Ces derniers n’ont pas tardé à descendre dans les rues pour protéger la démocratie et les institutions coréennes et pour dire non à l’oukase présidentiel. En quelques heures, et grâce à la mobilisation citoyenne, tout est rentré dans l’ordre, le président coréen a fait marche arrière et il est actuellement menacé de destitution.

Autre pays, autre ambiance. A l’aube du 7 décembre, les forces de l’opposition syrienne entrent sans coup férir dans Damas, capitale du pays. Tel un château de cartes, le régime de Bachar al-Assad s’est effondré. Son armée a pris la clé des champs, sa sinistre police politique s’est évaporée et al-Assad, tel un lapin effaré, s’est enfui pour se réfugier en Russie. Sic semper tyrannis (ainsi périssent les tyrans), une formule toujours valable depuis la chute de Jules César, il y a deux mille ans.

Évidemment, des différences fondamentales entre les deux pays empêchent toute comparaison. Ni le contexte, ni les structures sociales et économiques, ni les acteurs politiques, ni les interventions étrangères ne sont les mêmes. Et pourtant, les deux cas nous renseignent sur les vertus intrinsèques de la démocratie et les faiblesses structurelles du despotisme.

La Corée du Sud a subi le joug de régimes militaires et autoritaires pendant une trentaine d’années, et notamment sous le régime répressif et policier de Park Chung-hee (1961-1979). Mais à partir des années 1980, un processus démocratique est mis en place, et le pays est désormais un État démocratique stable et solide. La Corée du Sud est aujourd’hui une puissance économique planétaire et le revenu par tête des Coréens est parmi les plus élevés au monde.

Alors que la Syrie est le modèle même des ravages de l’autoritarisme dans le monde arabe. Un pays gouverné depuis 1971 par un clan, une famille, qui a transformé cette grande civilisation en un “État de barbarie”, selon le titre du livre du politologue français Michel Seurat, mort en 1986 après son enlèvement à Beyrouth par des milices proches des régimes de Damas et de Téhéran. En un demi-siècle, les deux tyrans, père et fils, ont brutalisé et traumatisé une société entière.

“La démocratie est certainement fragile et tombe souvent malade, comme c’est le cas de nos jours, mais même quand elle vacille, elle est soutenue et portée par des citoyens prêts à la défendre”

Abdellah Tourabi

Les Syriens ont vécu sous l’emprise de la peur, de la violence systématique et de l’annihilation physique de populations entières. Les massacres de la ville de Hama en 1982 (40.000 civils tués par l’armée de Hafez al-Assad et sous le commandement de son frère Rifaat), et la répression sauvage des soulèvements populaires par Bachar à partir de 2011, qui a plongé la Syrie dans une longue guerre civile, sont des exemples connus de la barbarie du régime déchu.

Dans le cas d’une démocratie stable et ancrée, les citoyens sont le premier rempart contre les abus et protègent jalousement leurs institutions politiques. Ils ont goûté aux bienfaits de la liberté et de la démocratie et ne veulent pas les remplacer par un autre type de régime. La démocratie est certainement fragile et tombe souvent malade, comme c’est le cas de nos jours, mais même quand elle vacille, elle est soutenue et portée par des citoyens prêts à la défendre.

“Le tyran est alors seul et nu. Il a créé le vide autour de lui, et c’est dans le néant qu’il sombre”

Abdellah Tourabi

Alors que dans les régimes autoritaires tout semble puissant et solide, jusqu’au dernier quart d’heure, où tout s’avère volatile et bringuebalant. Un pouvoir construit sur la peur et la violence ne réussit jamais à être légitime. La haine du tyran est enfouie dans les cœurs, et il ne peut compter sur aucun soutien. Ceux qui lui chantaient des éloges mielleux s’empressent à formuler contre lui, le jour même de sa chute, les pires diatribes. Le tyran est alors seul et nu. Il a créé le vide autour de lui, et c’est dans le néant qu’il sombrera. Ainsi périssent les tyrans.