La généralisation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) est l’un des chantiers les plus ambitieux de Mohammed VI. Projet social par excellence, la généralisation de l’AMO est une réforme courageuse. Exercice pouvant devenir périlleux pour les finances de l’État, elle ambitionne de parer aux nombreuses défaillances de notre système de santé. Et à ce titre, elle cristallise les attentes et les espoirs de ceux qui vont en bénéficier.
De belles réalisations ont été faites dans le cadre de cette réforme. Aujourd’hui, ce sont près de 30 millions de Marocains qui sont éligibles à l’AMO. Les bases d’une nouvelle gouvernance du système de santé ont été jetées. La Haute autorité de la santé (HAS), censée définir la stratégie du secteur de la santé et le réguler, a été créée. Tout comme les Groupements sanitaires territoriaux (GST) qui permettront de définir et organiser l’offre de santé au niveau local.
Mais des doutes subsistent quant à la capacité réelle du gouvernement à déployer un projet d’une telle envergure et de coordonner les différents piliers sur lesquels repose la réforme. La tentative de l’Exécutif de faire adopter le projet de loi 54-23, qui aurait entraîné la disparition de la CNOPS et son absorption par la CNSS, renforce ce doute. Mais, bien qu’importante, cette réforme n’était en rien une priorité. L’opérationnalisation effective de la HAS et des GST aurait dû figurer bien plus haut dans la liste des priorités du gouvernement.
Surtout que les failles du projet de loi 54-23, qui a été retiré du circuit d’adoption par le gouvernement pour ‘approfondissement’ de son étude, sont nombreuses. Sur la forme, il n’a fait l’objet d’aucune concertation avec certains acteurs importants impactés directement par le texte, à l’image de la CNOPS ou des 14 mutuelles de fonctionnaires qui ont reçu le projet de loi par… un message WhatsApp. Une indication du sérieux entourant l’action gouvernementale… Sur le fond, le projet de loi contient des failles et des impasses importantes et risque de mettre en péril la pérennité financière de l’AMO sur le long terme.
“À de nombreuses reprises, la CNOPS a été le dernier rempart contre l’influence et les profits excessifs du secteur privé dans le domaine de la santé”
Sur le plan de la régulation, le texte aurait mis fin à une institution qui, à son corps défendant, fait office de régulateur du secteur de la santé. À de nombreuses reprises, la CNOPS a été le dernier rempart contre l’influence et les profits excessifs du secteur privé dans le domaine de la santé. En l’absence de la HAS et au vu de la défaillance notoire de l’ANAM, le projet de loi 54-23 aurait ouvert un boulevard à la big pharma, aux laboratoires et aux cliniques privées pour multiplier leurs profits.
Cet “épisode” est un véritable révélateur des défaillances qui peuvent miner cette réforme. Il met à nu les défaillances de l’Exécutif en matière de gouvernance. Il met également en évidence les limites d’un ministère de la Santé qui doit se reposer sur des moyens humains insuffisants et, surtout, peu armés pour déployer un projet de cette envergure. La réussite d’un chantier de règne tel que l’AMO passe par le renforcement urgent des capacités de mise en œuvre de ce département. Un renforcement des ressources internes et externes est nécessaire. C’est un projet à la fois important et urgent.