Parfois, devant l’urgence, notre société sait se mobiliser. Surgissent alors du désastre des initiatives brillantes, des masses de bonne volonté et des térawatts d’énergie solidaire. On peut constater cette force collective lors des catastrophes naturelles, par exemple, ou quand un de nos enfants tombe dans un puits. Comme un vieux réflexe tribal de survie, la société fait corps et agit avec efficacité, et c’est très beau, hamdoullah.
Hélas, comme nul n’est parfait, il arrive également que, parfois, la conscience d’un danger imminent pousse les plus patriotes d’entre nous à se lancer dans des initiatives douteuses, et même, soyons honnêtes, un peu grotesques. Nous basculons alors dans une zone que nous fréquentons souvent, où le nationalisme grandiloquent côtoie l’absurde, cette zone sur laquelle plane avec autorité le spectre du grand ratage.
C’est ainsi que la bonne ville de Fès a vu fleurir sur ses murs une affiche au design stalinien que Zakaria Boualem va vous décrire sans plus attendre. Baignée du rouge et du vert qu’on s’impose dès qu’il s’agit de parler de notre pays, on y voit une fille et deux garçons parfaitement clonés qui regardent vers le ciel, sans doute vers leur avenir. Derrière eux, un arbre orné – on se sait trop pourquoi – de l’étoile marocaine. Comme il y a aussi un drapeau national devant eux et deux autres derrière, ça fait quatre étoiles au total, ce qui est objectivement trop. Le tout, donc, est un hommage au style soviétique ou maoïste, et il faut bien avouer que le Boualem y trouve un charme certain.
“Ton pays est au-dessus de tout, la corruption et le chômage ne sont pas une raison pour s’enfuir !” A la lecture de cette maxime grandiose, le Guercifi a été saisi d’un doute terrible. Si le chômage et la corruption ne sont pas une bonne raison de s’enfuir, que faut-il ? Une attaque généralisée de boucs mutants ?”
Le drame, car c’en est un, vient du texte qui accompagne cet effort graphique. Traduit avec le plus grand soin, voilà ce que ça donne : “Ton pays est au-dessus de tout, la corruption et le chômage ne sont pas une raison pour s’enfuir !”. A la lecture de cette maxime grandiose, le Guercifi a été saisi d’un doute terrible. Outre qu’elle pose sans complexe la corruption et le chômage comme une donnée de notre environnement aussi inévitable que la chaleur en août, elle impose la question suivante : quelle serait donc une bonne raison de s’enfuir ? Si le chômage et la corruption ne suffisent pas, quel type de désastre serait jugé suffisant ? Une attaque généralisée de boucs mutants ? Comment en est-on arrivés à un degré d’anesthésie tel que les plus patriotes d’entre nous affichent dans la rue que nous sommes corrompus, certes, mais que ce n’est pas grave ?
“Quand on pose un constat d’échec, chez nous, ce n’est pas pour demander des comptes aux responsables, mais pour expliquer que le problème vient de vous, oui vous, où que vous soyez”
Et ce n’est pas tout, il y a deux autres phrases. La première dit : “Ton pays reste toujours à tes côtés dans les moments difficiles”. Celle-là, Zakaria Boualem refuse de la commenter, allez piocher par vous-mêmes dans une des centaines de chroniques précédentes, la matière est abondante, hamdoullah. Mais la deuxième phrase est bien plus belle, jugez par vous-mêmes : “Réformer son pays commence par toi-même, pas par la fuite”. Oui, vous ne rêvez pas, on nous sert encore une fois cette histoire de “sois le changement que tu veux voir dans le monde, et ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, gneugneugneu, etc.”.
C’est affreux, cette manie de mettre sur le même plan les citoyens et ceux qui les gouvernent, les élites et les bougres, et de diluer la responsabilité comme si on avait demandé son avis un jour à tous les Boualem de ce pays. Quand on pose un constat d’échec, chez nous, ce n’est pas pour demander des comptes aux responsables, mais pour expliquer que le problème vient de vous, oui vous, où que vous soyez. Voilà, c’est tout pour la semaine, et merci.