Tout un programme

Par Yassine Majdi

Aziz Akhannouch serait-il en mode “damage control” ? La question mérite d’être posée après l’intervention de notre Chef du gouvernement à l’occasion d’une rencontre organisée par le mouvement les Citoyens à Fès, dans le courant de la semaine.

Il s’est alors prêté à d’étranges confidences sur l’exercice du pouvoir. Il assure ainsi que son parti, le RNI, a multiplié les focus groups et les sondages en vue d’identifier les besoins des Marocains avant d’être confronté “à une réalité aussi dure qu’un mur”. Il affirme même avoir eu le courage, que n’auraient pas eu d’autres, de poursuivre des réformes entamées dans les secteurs de l’éducation, la santé et la protection sociale. En somme, Aziz Akhannouch avoue avoir fait campagne avec un programme irréalisable.

C’est à croire que le Chef du gouvernement n’a jamais connu l’exercice du pouvoir avant son arrivée à la tête de l’Exécutif en septembre 2021. Pourtant, l’homme siège au gouvernement depuis maintenant près de 17 ans, sans discontinuer. En tant que ministre de l’Agriculture, il a été un témoin privilégié des réussites, mais surtout des échecs de différentes politiques gouvernementales. Et n’oublions pas sa participation au fameux G14, ce think tank économique créé par Hassan II à la fin des années 1990 pour tenter de tracer les grandes stratégies du pays. S’il est une personne qui connaît la “réalité” de la gouvernance, c’est donc notre Chef du gouvernement. Qui est aussi, faut-il le rappeler, un acteur majeur dans des secteurs aussi stratégiques que le gaz, l’énergie, l’eau…

Ses propos prêtent au doute, car Aziz Akhannouch disposait d’un programme clé en main. Certes, ce n’était pas le sien. Mais c’était celui de l’ensemble des Marocains et son contenu a été approuvé par la plus haute autorité du pays. Conçu comme un kit “prêt à gouverner”, le Nouveau modèle de développement (NMD) est la source d’inspiration de bon nombre de nouvelles politiques structurantes, comme celle mise en place dans le domaine du ferroviaire.

Aziz Akhannouch a même désigné trois membres de la Commission qui a rédigé le NMD – dont son président, Chakib Benmoussa – à des maroquins aussi importants que l’Éducation, l’Énergie et l’Enseignement supérieur. D’autres de ses membres, comme Mostafa Terrab et Ahmed Reda Chami, sont à la tête d’institutions importantes et actives dans la vie politique et économique du royaume. Il est donc étonnant de voir le président du RNI se prétendre surpris par la réalité du pouvoir.

Il est étonnant, encore, de le voir mettre en avant le “courage” de son action gouvernementale. Les réformes de la santé et de la protection sociale sont littéralement le fait du roi. Mohammed VI a posé les bases et piloté ces réformes majeures aux allures de chantiers de règne. Pire, le secteur de l’Éducation a pâti de l’interventionnisme mal placé de Aziz Akhannouch, alors que Chakib Benmoussa était engagé dans un bras de fer stratégique avec les centrales syndicales.

Au lieu d’adopter un discours défaitiste et de se projeter en 2026, Aziz Akhannouch devrait enfiler le bleu de chauffe

Yassine Majdi

Pourtant, les secteurs nécessitant une prise en main et une réelle coordination du Chef du gouvernement ne manquent pas. Durant ces dernières semaines, nous avons pointé les manquements dans des chantiers majeurs, tels que l’AMO, ou encore l’énergie. En l’espace de trois ans, les réformes de ces deux secteurs ont pu avancer grâce aux efforts des ministères de tutelle, de certaines entreprises et établissements publics, mais surtout de multiples initiatives royales.

Si Aziz Akhannouch adopte un ton défaitiste, c’est parce que les chiffres ne plaident pas en sa faveur. Le taux de chômage a atteint un niveau record puisqu’il a dépassé les 13%. La croissance est en baisse, comme en témoignent les récents chiffres du HCP, qui font état d’une croissance à 2,5% à l’issue du premier trimestre 2024 contre 3,9% un an avant. Au lieu d’adopter un discours défaitiste et de se projeter en 2026, Aziz Akhannouch devrait enfiler le bleu de chauffe. Car la réalité du pouvoir, il est déjà censé la connaître.

à lire aussi