Quand les choses dérapent ou risquent de déraper, Mohammed VI prend les choses en main. Parfois avec une main de fer, comme en attestent les colères royales d’Agadir, Al Hoceïma et Casablanca. Parfois avec souplesse, comme lors du Conseil des ministres du 2 juin. Consacré aux établissements et entreprises publics, la réunion présidée par le roi a donné un nouvel élan aux secteurs stratégiques de l’État. Les visions royales liées aux secteurs de la santé, de l’eau, de l’énergie ou celui des aéroports commençaient à être compromises ou du moins fortement ralenties.
C’est le cas dans le secteur de la santé où, par Conseil des ministres interposé, le Palais a acté la reprise en main de prérogatives accordées initialement au gouvernement. L’élévation, notamment, d’instances comme la Haute autorité de la santé (HAS), les Groupements sanitaires territoriaux (GST), l’Agence marocaine des médicaments et des produits de santé au rang d’établissements publics stratégiques en est un témoignage. Ce n’est plus le ministère de la Santé, mais la HAS qui fixe les orientations stratégiques du secteur. Et le patron de cette institution sera désormais désigné par le roi.
“Les partis de la majorité se voyaient déjà répartir les postes au sein de ces institutions, avec en point de mire les prochaines échéances électorales”
Ce n’est plus le ministère de la Santé, qui a été au cœur de nombreuses polémiques, qui se charge de proposer et d’appliquer une politique des médicaments, mais une Agence dont le patron sera désigné… par le roi. Les GST, qui mèneront la refonte du système de santé au niveau régional, ont aussi été retirées des prérogatives du gouvernement. Implantées au niveau local, proches des citoyens, ils risquaient de devenir des outils de conquête électorale. Les partis de la majorité se voyaient déjà répartir les postes au sein de ces institutions, avec en point de mire les prochaines échéances électorales. Les risques de dérapages étaient grands dans un secteur beaucoup trop sensible. Mais ils n’auront pas lieu, car le roi a tranché. Exit donc le Chef du gouvernement, c’est le souverain qui nommera les patrons des GST.
« La réforme de l’ONEE reste une condition nécessaire à la réussite de la transition énergétique de notre pays”
Dans le secteur de l’électricité, le dérapage avait débuté. Et la reprise en main s’est faite en changeant le directeur général de l’ONEE. La réforme de l’Office reste une condition nécessaire à la réussite de la transition énergétique de notre pays. Elle avait même été clairement énoncée par les cadres de l’ONEE, le Nouveau modèle de développement ou encore le CESE… Abderrahim El Hafidi, ancien directeur général, n’aura jamais réussi à la mettre en œuvre. Peut-être par choix, peut-être par absence de volonté.
L’Office, malgré les compétences dont il regorge, est désormais un frein à la transition énergétique, mais surtout un gouffre financier que Fouzi Lekjaâ, en tant que ministre du Budget, est amené à combler régulièrement. Abderrahim El Hafidi paie peut-être aussi le prix de sa trop grande proximité avec le Chef du gouvernement, qui fait lui-même l’objet d’un quadruple conflit d’intérêts dans ses relations avec l’ONEE (gaz, fuel, renouvelable, dessalement). Tarik Hammane, son successeur, connaît la maison ONEE – dont il est un ancien cadre – tout en étant conscient des enjeux de la transition énergétique après son passage à Masen. Sa mission sera de faire basculer l’ONEE dans le XXIe siècle et en faire le bras armé de l’Etat pour faire évoluer un secteur qui est au cœur du développement du royaume.
“L’aéroport de Casablanca est tout ce qu’un aéroport moderne ne doit pas être. Architecture inadaptée, accès difficile à l’aérogare, files interminables, sonorisation…”
La nomination de Adel El Fakir à la tête de l’ONDA découle de la même logique. Il devra mettre à la page des aéroports devenus désuets. Les patrons de l’Office se sont succédé mais n’ont pas réussi à opérer la bascule. L’aéroport de Casablanca – principal point d’accueil du Royaume- est le symbole de ce qu’un aéroport moderne ne doit pas être. Architecture inadaptée, accès difficile à l’aérogare, files interminables, sonorisation, transport vers la ville, business lounge, bagages, parking… rien n’est fait pour faciliter le parcours du voyageur.
À tel point qu’on se demande s’il est utile d’essayer de le “réparer” et s’il n’est pas préférable et moins couteux de construire une nouvelle aérogare au vu de la place disponible de l’autre côté des pistes. La mission de Adel El Fakir est donc claire. Il aura également la charge d’absorber la demande qu’il a lui-même contribué à créer en tant que DG de l’ONMT. Tout en créant une synergie avec son successeur.
À travers cette reprise en main, l’État témoigne de sa capacité à s’adapter aux besoins du moment ainsi qu’à l’absence d’initiatives. Plusieurs autres secteurs auraient besoin de cette même étincelle. Et les semaines qui viennent devraient apporter leur lot de changements mais aussi – on l’espère – des résultats concrets.