Les questions relatives à la RSE occupent de plus en plus de place dans les stratégies développées par les entreprises marocaines. Peut-on dire qu’il s’agit aujourd’hui d’une véritable préoccupation généralisée de la part des entreprises ?
Il y a, certes, un momentum pour le développement de la RSE au Maroc. Les entreprises marocaines internationalisées le savent parce qu’elles interagissent avec des clients et des fournisseurs opérant dans des juridictions où la régulation sur la RSE est suffisamment mature. Les entreprises marocaines opérant dans un cadre strictement local en sont conscientes.
“En dehors de la régulation, l’entreprise par construction, aussi volontariste soit-elle, ne peut pas développer une démarche contraignante vis-à-vis d’elle-même alors qu’aucune contrainte ne vient le lui rappeler”
Mais en dehors de la régulation, l’entreprise par construction, aussi volontariste soit-elle, ne peut pas développer une démarche contraignante vis-à-vis d’elle-même alors qu’aucune contrainte ne vient le lui rappeler.
Au Maroc ou ailleurs, l’entreprise n’est pas masochiste. En revanche, sous d’autres cieux, il faut le rappeler, le cadre régulatoire de la RSE/ESG est désormais extrêmement contraignant.
Pendant longtemps, la RSE était surtout perçue à travers un prisme sociétal, qui prend en charge les ressources humaines. Ce n’est que récemment que le volet environnemental a émergé. Comment expliquer cette évolution ?
Les trois sigles ESG sont interdépendants. Le pilotage de l’environnement et du social n’auront qu’un impact marginal sans une gouvernance qui les supporte. A mon sens, l’émergence de l’aspect environnemental s’explique par la prise de conscience des financiers de l’ampleur des risques que les institutions financières encourent en raison de l’impact des changements climatiques sur les portefeuilles.
D’abord, il y a eu la COP21 en 2015 qui a été le premier cadre institutionnel planétaire permettant de comprendre les risques financiers liés au changement climatique. Cependant, même ce cadre a mis du temps à se formaliser, puisque dès 1972, le rapport Meadows pointait du doigt les liens entre écologie, croissance, ressources et démographie.
“L’interpénétration entre scientifiques, financiers et régulateurs est telle que désormais les nouvelles régulations adoptent des modèles basés sur les théories des scientifiques”
En décembre 2015, l’accord de Paris fut précédé par une réunion qui a fait date, où le gouverneur de la banque d’Angleterre Mark Carney avait prononcé un discours qui a fait du bruit avec sa formule sur la “tragédie des horizons”. C’est une évolution qui s’accompagne d’une prise de conscience mondiale.
Enfin, remarque importante : des référentiels de reporting sur le climat, à l’instar de la TCFD (Task force on climate related financial disclosures, ndlr), sont des initiatives de financiers et non de climatologues. L’interpénétration entre scientifiques, financiers et régulateurs est telle que désormais les nouvelles régulations adoptent des modèles basés sur les théories des scientifiques.
Quelle analyse faites-vous des grandes initiatives RSE lancées par les grands groupes marocains ? De quelle marge d’amélioration dispose-t-on ?
Les grands groupes, au Maroc ou ailleurs, ne peuvent pas rester en dehors de la RSE. La trajectoire est d’une épaisseur telle qu’elle va emmener l’économie mondiale avec elle, et en priorité les grands groupes exposés aux régulations internationales et à la pression des donneurs d’ordre. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) n’est qu’un avant-goût.
Rester en dehors de la RSE serait comparable, dans un avenir très proche, à rester en dehors de la facturation, ce qui reviendrait, au mieux, à assumer une suspicion de fraude et, au pire, à en commettre une. L’économie européenne et ses régulateurs ont enclenché une réorientation de leur modèle car, en partie, ils ont investi dans l’économie circulaire, dans les énergies renouvelables, dans le Net Zéro…
Je parle de trajectoire car celle-ci supporte des allers-retours dépendamment des lobbyings conjoncturels ou de la non-maturité des technologies, mais la cible d’arrivée est bien identifiée.
Si la RSE est difficilement quantifiable, comment mesurer l’efficacité des stratégies RSE développées et mises en place par les entreprises marocaines ?
La RSE est difficilement quantifiable quand la méthode qui la supporte manque de cohérence ou n’est pas alignée sur des référentiels, des normes et des initiatives mondialement ou sectoriellement reconnus. Une bonne RSE est celle qui aligne la mission (si elle existe) ou les ambitions de durabilité avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs, des actions, des seuils à ne pas dépasser et des indicateurs à atteindre.
Cela est, du reste, le propre de toute stratégie, financière soit-elle, de production ou encore de durabilité. Mais le maître mot d’une stratégie RSE réside dans la mise en place d’un input sans lequel tout l’édifice s’écroule : la matérialité des enjeux RSE, c’est-à-dire, leur pertinence des sujets de durabilité pour le business et pour la planète.
De quels outils dispose l’État pour inciter et sensibiliser plus d’entreprises à se tourner vers des démarches RSE ?
Les États et les régulateurs n’ont pas le choix que de suivre cette évolution et produire des régulations de durabilité de plus en plus exigeantes. On le voit avec les déclarations et parfois des exigences d’une centaine de groupements mondiaux tels que l’IOSCO, le FSB, le Sustainable Stock Exchanges, le NGFS, etc. Pour le reste, les régulations de l’UE ont montré une perspective en termes d’intégration de la RSE dans la loi dure et cela est plutôt une bonne nouvelle.