Il est midi et trente-trois minutes. Ce n’est déjà plus le matin. La moitié de la journée s’est déjà écoulée. Et toi, tu n’as rien fait. Absolument rien. Tu n’as même pas bu de café. Tu as péniblement tendu le bras pour attraper la bouteille d’eau sur ta table de nuit. Parce que oui, il est midi et trente-trois minutes et tu es encore allongée dans ton lit.
D’ailleurs, ce n’est pas exactement allongée le terme qui convient, mais plutôt affalée. Ce n’est même pas vraiment un choix. Tu ne saurais pas faire autrement. Tu es absolument incapable d’envisager même la verticalité. Il est midi et trente-trois minutes et tu n’as rien foutu. Et surtout, tu ne risques pas de foutre grand-chose du reste de la journée.
“Elle n’est pas en bois ta gueule, mais en béton armé”
Heureusement, tu n’avais pas de grandes ambitions pour ce samedi. Le champ des possibles de ta journée n’est pas limité. Tu n’auras strictement aucune valeur ajoutée pour le monde aujourd’hui. Tu es absolument incapable de produire quoi que ce soit. Ni une pensée structurée, ni même un petit déjeuner convenable. Ce n’est pas que tu n’en aies pas envie. Tu es bien loin même de toute notion d’envie. Tu en es juste incapable. Elle n’est pas en bois ta gueule, mais en béton armé.
Ton téléphone vibre. Le son t’agace. C’est Zee. Tu ne réponds pas. Ça continue de vibrer. Ça continue de t’agacer. Tu découvres que tu as dix-sept notifications. Plus de la moitié sont de Zee. Ta mère qui te propose de venir déjeuner demain. Tu es bien incapable de te projeter. Demain, c’est loin. Ta cousine qui t’attend au pilates. Ou plutôt qui t’attendait. Le message date d’il y a quelques heures déjà… Tant pis pour le pilates.
Il y a aussi ce message de ce mec qui est ravi de t’avoir croisée hier et qui pense que “ça serait bien d’aller boire un verre la semaine pro”. Tu ne sais pas ce qui te donne le plus la nausée dans ce message, l’évocation d’un verre ou ce “semaine pro”. Du coup, tu ne réponds pas. Peu de chances que tu lui répondes un jour d’ailleurs.
Tu rappelles Zee. Contrairement à toi, elle a l’air en pleine forme. Toi, tu as la tête dans le poisson, elle, elle sort de sa manucure. Deux salles, deux ambiances. Elle te dit qu’elle passe te prendre dans une heure. Vous avez promis de passer à cette vente de maillots organisée par votre pote. Une pote qui est donc devenue designer de maillots de bain après avoir été prof de yoga et avant de devenir masseuse holistique. Et toi, forcément, tu vas y aller à cette vente. Forcément, tu vas acheter au moins un truc. C’est le principe même d’aller à la vente de quoi que ce soit organisée par une pote.
Tu finis donc par te lever. Tu croises ton reflet dans le miroir. Tu respires clairement pas la vivacité. Tu as des yeux de panda avec ce mascara que tu as oublié de démaquiller et qui a coulé. Tu files sous la douche. Tu te dis que l’eau sera forcément salvatrice. De toute façon, ton état ne peut que s’améliorer. Ça ne peut pas être pire. Le pire, tu y es déjà. Tu finis par enfiler un jean et une chemise blanche.
À défaut de te sentir digne, tu vas essayer d’avoir l’air fraîche. Les cheveux coiffés par ta nuit trop courte. Tes cernes camouflés derrière des lunettes trop grandes, tu es prête à rejoindre Zee. Tu es prête à t’émerveiller sur des maillots de bains qui seront probablement d’une banalité affligeante, et hors de prix bien entendu. Mais comme ils sont vendus par la bonne personne au bon endroit, ça se vend bien. C’est aussi ça, la loi du marché dans ton petit monde. Il n’est pas question d’offre et de demande, mais de tendances et de copinages.