L'heure du doute

Par Fatym Layachi

Ça y est, c’est ce moment de l’année. Le mois sacré a débuté. C’est le moment de l’année où ton WhatsApp déborde de messages pleins de joyeux souhaits, de bons sentiments, d’amour de son prochain et de bienveillance. C’est aussi le moment de l’année qui vient avec son lot d’images animées. On se souhaite de la santé, de la sérénité. Et toi, les bonnes intentions, les bons sentiments, la douceur, même si c’est sur WhatsApp, eh bien, justement, tu trouves que ça adoucit. Ça fait du bien.

Car autour de toi, c’est un peu moins doux, pour ne pas dire carrément tendu. Entre ta mère qui passe ses journées à se plaindre de ses maux de tête, Zee qui passe ses journées à se plaindre tout court, la circulation qui est devenue encore plus infernale que la semaine dernière et ton collègue qui est devenu encore plus nerveux que la semaine dernière, tu ne baignes pas exactement dans une bulle de douceur et de sérénité. Et c’est un euphémisme.

“Tu as beau savoir exactement ce qu’il va se passer, à chaque ramadan, tu es complètement déboussolée”

Fatym Layachi

Pour toi, c’est aussi le moment de l’année où tu galères à trouver ton rythme et c’est exactement pareil tous les ans. Tu as beau savoir exactement ce qu’il va se passer, à chaque fois tu es complètement déboussolée. C’est comme si tous les ans, tu te faisais surprendre par un truc qui arrive tous les ans !

Et pour commencer, tous les ans, il te faut au moins trois jours pour comprendre l’heure qu’il est. Et pendant ces trois jours, tu es bien évidemment extrêmement agacée par tous les gens autour de toi qui, comme toi, ne savent pas l’heure qu’il est. Tu peux perdre ton sang-froid et tout ton calme quand quelqu’un ose te balancer un “la nouvelle heure ou l’heure ancienne ?

Alors même que toi, tu ne sais absolument pas l’heure qu’il est. Entre ton iPhone qui a changé d’heure, ton ordi qui a décidé de changer d’année et ta montre à ton poignet qui avance – ou alors qui retarde, tu ne sais plus trop –, tu es totalement paumée. Tu ne sais même pas à quelle heure il faut dormir, à quelle heure il faut se lever. Tu sais à quelle heure il faut manger, mais sur tout le reste tu es paumée. Pourtant tu ne supportes pas que les autres le soient, ou du moins qu’ils l’expriment.

Et encore, il y a pire : l’expression “heure légale” ! Tu ne cherches même pas à savoir de quelle légalité ou de quel fuseau horaire il peut bien s’agir. “Heure légale”. Ces deux mots mis côte à côte te mettent hors de toi. Tu ne sais pas si ça fait remonter des peurs traumatiques enfouies ou s’il s’agit d’une réaction allergique pure et simple, mais ça t’insupporte. Et puis en ce moment, tu n’as que très peu de tolérance pour ce qui t’insupporte. Est-ce le manque de nicotine, le manque de sommeil ou l’excès de sucre, vu les kilos de chebakkia que tu engloutis avec un plaisir non dissimulé à chaque ftour ? Quoi qu’il en soit, tu es clairement à fleur de peau en ce moment.

Et, hasard ou pas, dans tes stories Insta, c’est un peu la grande foire du mieux vivre. Entre les offres pour les retraites de yoga, les promos pour des sessions intensives de méditation et les packs pour découvrir le pilates en douceur, il y en a pour tous les goûts. Comme autant d’invitations à se reconnecter. Tu ne sais pas exactement à quoi tu devrais te reconnecter, mais ça a l’air d’être absolument dans l’air du temps. C’est aussi ça, le ramadan dans ton monde. Consommer plus, forcément. Ça, c’est une constante. Mais en ce moment, il faut consommer avec spiritualité. Ou au moins avec un petit supplément de spiritualité.