Il ne vous aura pas échappé que, depuis quelques semaines, les autorités s’attaquent avec détermination à un nombre important de constructions illégales. Avec l’enthousiasme qu’on leur connaît quand elles se mettent en mode hamla, elles ont fait charger les bulldozers et ont démoli avec fracas une masse de bâtiments qui, il faut bien le préciser, n’auraient jamais dû exister.
Les images sont partout, c’est une multitude de petites apocalypses qui se sont abattues sur la tête de certains Marocains, les pauvres. Ce n’est sans doute pas le sujet, mais on parle bien de ces Marocains qui se sont déjà pris un sévère combo Covid/inflation dans la figure, associé au boom prodigieux du coût de l’école privée et à quelques autres joyeusetés qui, mises bout à bout, ont précipité une bonne partie d’entre eux dans les ténèbres de l’insécurité financière.
Mais vous connaissez le Boualem, son amour de l’ordre, son goût de la légalité, vous soupçonnez donc que cette campagne de destruction le plonge dans la félicité. Après tout, on ne peut pas passer son temps à geindre contre les gens qui font n’importe quoi et venir pleurer quand on injecte de l’ordre dans l’espace public, n’est-ce pas ? Ce serait une incohérence affreuse.
Et pourtant ! Prenons le cas d’Imsouane, par exemple, et regardons la situation avec les yeux du Guercifi. Il y a déjà plusieurs décennies, des gens, surtout étrangers, ont été pris de passion pour ce site et les possibilités de surf qu’il offrait. Ils se sont donc pointés avec leurs planches et ont pratiqué leur sport sans plus de formalités.
Les gens du coin se sont dit qu’il devait être possible de les aider à se nourrir et à se loger et, sans demander l’autorisation à personne, se sont organisés pour fournir ces services. Tout ce beau monde, à force de vivre ensemble, a fini par créer un écosystème cohérent, c’est-à-dire que les surfeurs trouvent sur place ce qu’ils cherchent : un accueil personnalisé, un peu roots, des plats faits maison, et la coolitude générale que les Marocains savent montrer quand ils reçoivent chez eux.
“La campagne de démolition de constructions illégales devrait plonger le Boualem dans la félicité. Et pourtant, les gens d’Imsouane avaient inventé une marque, ils ont développé seuls leur produit, ils ont créé de la valeur. Ils ont proposé, certes dans l’anarchie, quelque chose que jamais l’État n’a pu imaginer”
Jusqu’ici, il faut le préciser, l’Etat n’a pas vraiment joué de rôle dans cette affaire, comme dans le reste des sites qui concernent les sports de glisse, mais, hamdoullah, ça a quand même marché. Tout s’est joué entre les populations locales et les pratiquants, qui ont fini par faire du Maroc et de ses plages des destinations un peu sauvages, peut-être chaotiques, mais disposant d’un véritable cachet, très loin de ce que proposent les géants du tourisme. Ce que Zakaria Boualem essaie de dire, c’est que les gens d’Imsouane ont inventé une marque, pour parler comme les capitalistes, ils ont développé seuls leur produit, ils ont créé de la valeur. Ils ont proposé, certes dans l’anarchie, quelque chose que jamais l’État n’a pu imaginer.
D’où la question : aurait-il été possible de basculer dans la légalité sans tout détruire ? Aurait-il été possible de capitaliser sur ce qui a été fait, et qui est connu au-delà de nos frontières ? Est-il possible d’éviter de nous imposer un nouveau bloc de béton hôtelier sans aucun cachet local, méprisant les joies de la glisse et proposant des prix que ni le Boualem, ni les surfeurs, ni les gens du coin ne peuvent se permettre ? La réponse à toutes les questions précédentes est sans doute oui, il aurait été possible de structurer l’activité sans la détruire, conserver les acquis et respecter le passé, mais à une seule condition : il aurait fallu que notre administration fasse preuve d’un peu de subtilité. Donc, non, en fait, et merci.