Zakaria Boualem est tombé cette semaine sur un article des plus sérieux détaillant les dangers des réseaux sociaux pour les plus jeunes. Il a lu avec attention les multiples avis d’éminents docteurs qui s’exprimaient, puis il a réfléchi dans sa tête. Car figurez-vous que notre homme, de temps en temps, se refuse à la précipitation d’une opinion trop vite formée. Le bougre, avec l’âge, a appris à retenir ses ardeurs, surtout lorsqu’il s’agit de commenter le mode de vie de notre étrange époque.
C’est qu’il trouve particulièrement triste cette avalanche d’opinions lugubres du genre “c’était mieux avant”… Il ne les trouve pas seulement tristes, elles sont aussi, le plus souvent, fausses, inspirées par la nostalgie d’un passé fantasmé plus que par une quelconque réalité. Voilà pourquoi, lorsqu’il s’est mis en tête de commenter les réseaux sociaux, il a pris son temps, de peur de passer pour un vieil homme aigri. La position qu’il va développer est donc le résultat d’une modération, dites-vous bien cela.
“Les réseaux sociaux sont une invention diabolique, en passe de nous rendre tous complètement cons, et à moins d’un sursaut collectif, c’est toute une civilisation qui va plonger dans les ténèbres, telle est la réalité, et merci”
La voilà, sans plus attendre. Les réseaux sociaux sont une invention diabolique, en passe de nous rendre tous complètement cons, et à moins d’un sursaut collectif, c’est toute une civilisation qui va plonger dans les ténèbres, telle est la réalité, et merci. Maintenant qu’il a fait son coming out, le Boualem se sent déchargé d’un poids. Il voudrait bien avoir une position moins dramatique, mais alors il vous mentirait. Un téléphone portable, associé à une caméra et à une connexion Internet, il y a quelques décennies, cela pouvait passer pour le passeport vers les lumières de la félicité. Au contraire, nous avons basculé dans l’ère de l’interruption permanente et de la concentration impossible.
Et parmi les conséquences les plus visibles de ce supposé progrès, cette manie générale de faire tourner le monde autour de son nombril. Le narcissisme décomplexé, glorieux même, voilà la grande avancée de notre époque. Il fut un temps où un type à qui viendrait l’idée tordue de poser seul devant une glace de longues minutes en faisant les yeux doux et une bouche de mérou aurait été appelé à la retenue par ses amis. Mais cette époque est révolue.
“Il faudrait organiser des obsèques pour feue la pudeur, disparue sans laisser de trace la pauvre”
C’est ainsi qu’il faut être, les amis, la planète marche sur la tête. Si vous ne participez pas au cirque, vous êtes louche. Il faudrait organiser des obsèques pour feue la pudeur, disparue sans laisser de trace la pauvre. La conséquence de cette affreuse manie collective, c’est que tout le monde se ressemble, comme une armée de clones. Vous n’avez pas remarqué ? Regardez autour de vous, en soirée, c’est flippant, on se croirait dans un épisode de Black Mirror.
Et puis, il faut parler des ravages sur les esprits. Umberto Eco avait décrit avec précision le mécanisme démoniaque qui faisait de l’idiot du village un candidat parfait pour la téléréalité. Ce même personnage, aujourd’hui, est désormais à la tête d’un canal qui diffuse toute la journée et toute la nuit ses pensées, imaginez un peu les dégâts.
Vous connaissez ce gars du quartier, un peu perché, celui avec qui on aime passer quelques minutes parce qu’il est divertissant même s’il raconte n’importe quoi ? Eh bien, il est devenu un modèle pour notre société, il est pris au sérieux. Vous pouvez toujours lutter, protester, cela revient à affronter la marée avec une louche, car vous avez en face de vous les génies du marketing mondial. Les mêmes qui ont convaincu nos parents de fumer un paquet par jour et nos enfants de se gaver de sucre à n’importe quelle heure, vous savez… Voilà, donc, ce que Zakaria Boualem pense des réseaux sociaux, eh oui, il est prêt à s’entendre traiter de vieux débris, mais il est en paix avec lui-même, et merci.