[Tribune] Micro-mobilité dans les villes marocaines : l’urgence d’une régulation

La tendance émergente de nouveaux modes de mobilité est un fait de l’urbanité du XXIe siècle. Les villes s’urbanisent à un rythme accéléré ayant comme corollaire des besoins quantitatifs et qualitatifs en transport urbain. Dans ce contexte, il est aisé de constater que des citadins recourent à des véhicules à moteur électrique pour se déplacer au travail, aux études, ou faire du sport.

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Ces nouvelles mobilités sont l’émanation du progrès technologique, du discours politique sur la durabilité environnementale et de l’arrivée d’opérateurs privés assurant de l’intermédiation dans le secteur.

Mostafa Kheireddine, urbaniste et chercheur en sciences de la villeCrédit: DR

Connues sous le terme de « micro-mobilité », ces innovations en mobilité ont fait leur apparition dans les grandes villes de par le monde. Elles offrent des options pratiques de déplacement aux citadins. Une tendance qui gagne aussi les villes marocaines, loin de toute régulation.

La présente tribune tente d’élucider les tendances de la micro-mobilité, d’appréhender ses angles morts et de s’arrêter sur les pratiques de régulation déployées dans d’autres contextes urbains.

Micro-mobilité : de quoi parle-t-on ?

Par micro-mobilité ou Engins de déplacement personnel motorisés (EDPM), il est entendu un mode de déplacement qui s’appuie sur des dispositifs à moteur électrique et englobe les scooters, les trottinettes, les vélos, les skateboards, etc. Appartenant à des particuliers ou en libre-service, ces véhicules sont conçus pour des trajets urbains courts tels que l’université, le commerce ou les lieux de sport et de divertissement. Ces engins roulent à une vitesse généralement inférieure à 25 km/h.

La micro-mobilité est porteuse de pratiques de mobilité durable. Elle est considérée comme un mode de déplacement complémentaire au transport urbain. Les tendances de son expansion puisent leur explication d’une forte demande de la population en déplacements dans les zones à forte densité, mais aussi, de la demande touristique.

Les angles morts de l’écosystème de la micro-mobilité

Comme tout mode de déplacement, la micro-mobilité a ses angles morts. La presse, les réseaux sociaux et les échanges avec des usagers de trottinettes laissent entrevoir des enjeux et défis à relever pour que ce mode de mobilité puisse se faire une place dans nos villes. Les termes qui reviennent le plus se rapportent à la réglementation, l’insouciance des gestionnaires de la ville, l’incompréhension des opérateurs de transport en commun (Bus, BHNS et Tramway) [i] et du rail (ONCF)[ii], la sécurité routière, l’intégration à l’espace public, et l’aménagement urbain.

« Nos villes sont-elles aménagées pour accueillir la micro-mobilité ? Répondre par l’affirmative serait une cécité »

Mostafa Kheireddine

Nos villes sont-elles aménagées pour accueillir la micro-mobilité ? Répondre par l’affirmative serait une cécité. La planification urbaine, l’aménagement de la voirie, le sens culturel associé à la voiture ne favorisent pas l’émergence des modes de mobilité active (marche, vélo, trottinette, etc.). Non structurée, la micro-mobilité a des années devant elle pour franchir des sauts d’obstacles liés à l’appropriation de l’espace public, l’aménagement de pistes cyclables, l’acceptabilité dans le transport en commun, le déploiement d’une signalétique, l’immatriculation et la possession d’une assurance responsabilité civile.

La régulation, une question d’urgence

Il importe de préciser que la micro-mobilité fait l’objet d’enjeux politiques, économiques et écologiques. Porté par un discours politique et impulsé par de grands industriels et opérateurs numériques, ce mode de mobilité s’opère dans un contexte qui oscille entre l’acceptabilité et le refus. Certaines villes tolèrent la micro-mobilité et laissent faire son expansion loin de toute régulation. Néanmoins, ce déploiement ne s’opère pas sans heurts entre les usagers et les citadins.

L’expérience internationale renseigne sur une prise de conscience des décideurs locaux pour la régulation de la micro-mobilité dans le cadre la loi[iii] ou par la réglementation municipale. Ainsi, des métropoles internationales ont pris des mesures pour épargner le chaos urbain suite à l’engouement grandissant pour la micro-mobilité. Les principales mesures portent sur l’intégration de l’utilisation de la trottinette dans le code de la route et la limitation de la vitesse à 25km/h des trottinettes électriques sorties d’usines (France), l’interdiction des trottinettes sur les trottoirs, l’homologation des batteries des trottinettes (New York), le port du casque.

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Bien que la pratique de la micro-mobilité soit récente dans les grandes villes marocaines, nous sommes tentés de dire que ce mode de déplacement pose d’ores et déjà des enjeux de gouvernance (portage politique), d’intégration dans l’écosystème de mobilité (portage opérationnel) et d’acceptabilité sociale.

Depuis une dizaine d’années, les villes-capitales de région sont engagées dans la réalisation d’un réseau de transport urbain (Bus, BHNS et Tramway) dont les fondements sont l’accessibilité, l’interopérabilité et la durabilité. Le mode de déplacement axé sur la micro-mobilité est intrinsèquement accessible, durable et complémentaire. Il est temps que décideurs et opérateurs de mobilité[iv] mettent sur leur agenda une régulation qui jette des ponts de liaison entre micro-mobilité et transport en commun.

Notes :

[i] « Les vélomoteurs ou autre engins motorisés, de même que les chariots ou caddies sont formellement interdits » selon l’article 10 du règlement du tramway de Casablanca

[ii] L’ONCF doit tenir compte des attentes de clients navetteurs (Etudiants et Employés) et des touristes pour un accompagnement des usagers des véhicules à moteur électrique.

[iii] Les pouvoirs publics en France ont adopté en 2019 la loi sur les Nouveaux Véhicules Électriques Individuels (NVEI).

[iv] Sociétés de Développement Local chargées de la conception et la réalisation des réseaux du transport urbain.