Escobar du Sahara : ce que révèlent les auditions policières de Saïd Naciri

Avant son placement en détention provisoire dans le cadre de l’enquête sur l’affaire Escobar du Sahara, le président du Wydad et du Conseil préfectoral de Casablanca a été entendu à plusieurs reprises par la police. Voici ce qui ressort de ses déclarations.

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Saïd Naciri, président du WAC et du Conseil préfectoral de Casablanca (PAM). Crédit: DR.

Il y a du nouveau dans l’affaire Escobar du Sahara. Après son placement en détention le 22 décembre dernier, le président du Wydad Athletic Club (WAC) et du Conseil préfectoral de Casablanca, Saïd Naciri, a été auditionné jeudi 25 janvier à la Cour d’appel de Casablanca par le juge d’instruction chargé de l’affaire. Son collègue au Parti authenticité et modernité (PAM) Abdenbi Biioui, président du Conseil régional de l’Oriental, a également été entendu.

L’audience, consacrée aux interrogatoires approfondis, été reportée au 7 février prochain, a indiqué à TelQuel l’un des trois avocats de la défense de Saïd Naciri, Me Mehdi Ezzouate. En raison du “secret de l’instruction”, qui vise à garantir l’efficacité de la procédure judiciaire et la protection de la présomption d’innocence des personnes mises en cause, les détails de cette audience sont “confidentiels”, a rappelé l’avocat.

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Au total, 25 personnes ont été déférées le 21 décembre dernier devant le Parquet pour leurs liens présumés avec cette affaire. Vingt-deux d’entre elles ont été placées en détention dès le lendemain, sur décision du juge d’instruction. Selon le procureur du roi près la Cour d’appel de Casablanca, ces personnes sont accusées de “participation à un accord pour la détention de drogues, leur commercialisation, leur transport, leur exportation et leur tentative d’exportation, corruption et falsification d’un document officiel, l’exercice direct d’une activité de contrôle attentatoire à la liberté personnelle et individuelle en vue de satisfaire des caprices personnels, l’obtention, sous la contrainte, de documents attestant d’actes et de décharges, la facilitation de la sortie et de l’entrée de Marocains vers et depuis le territoire marocain de manière régulière dans le cadre d’une bande et dissimulation d’objets obtenus suite à un délit”.

Un appel compromettant

Saïd Naciri, lui, est accusé de “falsification de documents, utilisation de chèques falsifiés, tentative d’escroquerie, facilitation de trafic de drogue et abus de pouvoir”, nous avait indiqué Mehdi Ezzouate, après son incarcération. Comment Saïd Naciri en est-il arrivé là ? Selon les procès-verbaux de ses multiples auditions devant les éléments de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), c’est El Hadj Ahmed Ben Brahim en personne qui l’a dénoncé.

Le procureur général du roi près la Cour d’appel de Casablanca avait en effet ordonné, le 11 août dernier, l’extraction du prisonnier de nationalité malienne de la prison locale El Jadida 2, où il est détenu depuis 2019, pour qu’il soit entendu pour les besoins de l’enquête préliminaire. Pour ce faire, “le Malien” a été placé temporairement dans la prison Aïn Sebaâ 1, à Casablanca.

Lors de sa comparution devant le procureur général du roi près la Cour d’appel de Casablanca, Saïd Naciri aurait été interrogé sur d’importantes sommes d’argent transférées sur son compte bancaire à partir d’un autre compte susceptible d’être celui de l’Escobar du Sahara.Crédit: DR

Plusieurs numéros de téléphones appartenant à des personnes visées par l’enquête ont été mis sur écoute, sur ordre du parquet, entre mars 2021 et juin 2023. Les appels entrants et sortants desdites personnes ont été enregistrés et mis à la disposition de l’enquête. Un des appels téléphoniques a particulièrement attiré l’attention des enquêteurs. D’une durée de quatre minutes, il a été passé le 10 mars 2021 entre Saïd Naciri, via son numéro personnel, et la prison locale d’El Jadida 2. Lors de cette discussion, le patron du WAC a promis au Malien de le faire expulser vers son pays d’origine au plus tard en juin de la même année, apprend-t-on.

Lors de son audition par le commissaire chargé de l’enquête, le 30 octobre 2023, Saïd Naciri a été confronté à l’enregistrement de cet appel. Pour se défendre, il a assuré que c’était uniquement une stratégie pour le maintenir “loin de lui” et qu’il n’avait nullement l’intention de le faire expulser vers le Mali.

L’appartement de Mohammedia

Au cours de cette conversation téléphonique, Saïd Naciri lui a aussi promis de remettre à sa femme la somme de 100.000 dirhams, en plus de 10.000 dirhams par mois, en échange de la remise des clés d’un appartement situé à Mohammedia. L’appartement en question est cité plusieurs fois dans les PV de la police. C’est Saïd Naciri qui en serait propriétaire, bien que le Malien y ait habité pendant une période non déterminée.

Le Malien, lui, a assuré aux policiers que Saïd Naciri lui a proposé de lui vendre cet appartement, entre 2014 et 2015, au prix de 2,7 millions de dirhams. Après négociation, le prix de vente final a été fixé à 2 millions de dirhams. Mais ironie du sort, Saïd Naciri aurait finalement reçu “par erreur” un virement de 2,5 millions de dirhams, en contrepartie de la vente de l’appartement. Malgré ce virement, le Malien n’en aurait jamais pris possession. Selon lui, Saïd Naciri n’a jamais entamé la procédure pour transférer la propriété en son nom.

Pour le Malien, Saïd Naciri a profité de sa détention en prison en Mauritanie, et “l’a trompé en prétendant qu’il avait encore besoin de cet appartement pour une durée limitée”. C’est ainsi qu’il aurait récupéré les clés de sa maison.

Confronté à ces accusations, le Pamiste a nié avoir vendu cet appartement au Malien. Il a assuré aux enquêteurs que c’est son ami, un certain A.C., patron d’une entreprise opérant dans le secteur de la menuiserie industrielle, qui a donné les clés en question à un assistant du Malien. Saïd Naciri a aussi déclaré que c’est une autre personne, dénommée K.A., qui aurait passé l’accord de vente avec le Malien, sans son approbation. Une version qui n’a pas convaincu les enquêteurs.

Les voitures chinoises

Lors de ses auditions par la police, Saïd Naciri a également été interrogé sur six voitures importées de Chine par le Malien, pour lesquelles ce dernier n’a jamais pu obtenir les certificats de conformité pour leur circulation au Maroc.

Pour s’en débarrasser, il aurait confié ces véhicules, de la marque Gonow, à Saïd Naciri, qui les a placés, dans un premier temps, dans sa villa située sur le boulevard de la Mecque, à Casablanca. C’est l’ancien chauffeur de l’accusé lui-même qui a assuré à la police les avoir vus dans le parking de la villa : cinq nouveaux véhicules utilitaires blancs et un cinquième de couleur grise.

Il a expliqué que son patron lui avait demandé par la suite d’emmener ces voitures au complexe Mohamed Benjelloun, le centre d’entrainement du Wydad, ce qu’il a fait. Selon ce chauffeur, les voitures sont restées garées dans ledit complexe pendant au moins un an et demi.

Même s’il a nié les faits, les enquêteurs ont fait remarquer à Saïd Naciri que ce qu’a déclaré le chauffeur, en plus d’autres témoins travaillant au Complexe Benjelloun, confirme la version du Malien. Là encore, Saïd Naciri a sorti le nom d’une autre personne l’accusant d’avoir acheté ces voitures auprès du Malien. Interrogé sur des photos apportées par son ex-chauffeur, montrant les voitures en question garées dans le complexe du Wydad, Saïd Naciri a assuré qu’elles étaient “fabriquées”.