Il tutoyait les étoiles

Par Fatym Layachi

Le mois de janvier n’est pas encore terminé et tu as déjà l’impression que cette année va être fatigante. Tu trouves qu’elle débute étrangement. Le temps est étrange. Il fait beau mais ce n’est pas joyeux du tout. Cette chaleur en cette saison est même plutôt triste et inquiétante. Et puis, il y a eu une très triste nouvelle.

Lahcen Zinoun s’en est allé faire danser les anges. Danseur, chorégraphe, sculpteur, réalisateur, cet artiste aux multiples talents est parti rejoindre sa dernière demeure. Il s’est éteint en laissant derrière lui de sublimes œuvres et en creusant des abysses de chagrin chez tous ceux qui l’ont connu. Même ceux qui ne faisaient pas partie de son premier cercle se sentent affectés. Même ceux qui ne l’ont côtoyé que professionnellement se sentent touchés. Ce monsieur est vraiment à part. D’une singularité rare. Il fait partie de ces gens qui marquent. De ceux qui laissent une trace indélébile.

Ce monsieur était un grand. Un vrai grand. Avec cette grandeur qui ne plie jamais. Cette grandeur véritable, celle de l’âme. Ce monsieur était un immense artiste. Danseur magnifique, chorégraphe visionnaire, auteur bouleversant, réalisateur appliqué, poète inspiré, il a su créer du beau avec tant de moyens d’expression. Il a su raconter des histoires belles et fortes avec cette capacité à chaque fois d’émerveiller.

Un journaliste a écrit que la place d’une étoile est dans le ciel. La formule n’est pas que jolie. Elle sied particulièrement à Lahcen Zinoun. Il avait quelque chose en lui de céleste. Il semblait tutoyer les étoiles. Céleste, aérien et en même temps profondément ancré. Ancré dans ce pays auquel il était si attaché, qu’il aimait viscéralement. Toute sa vie, il a travaillé inlassablement à explorer les traditions, à les mettre en scène, à les magnifier. A offrir à nos yeux émerveillés de spectateurs de sublimes interprétations de ce que nous sommes.

« Gamin des quartiers populaires, Lahcen Zinoun a su rêver sa vie et s’est offert de croire 
en ses rêves »

Fatym Layachi

Toi, tu as eu la chance de le rencontrer. Tu sais à quel point il manquera. À quel point manquera son regard sur le monde, son regard sur le Maroc. Et à défaut d’avoir les connaissances précises pour retracer son immense carrière, tu ne peux qu’admirer son parcours impressionnant. Gamin des quartiers populaires, il a su rêver sa vie et s’est offert de croire en ses rêves. De ne jamais les trahir.

Pourtant, au début, le chemin était loin d’être simple. Mais il a gardé comme boussole son idéal et ses principes. Et puis, peut-être parce qu’il était danseur, mais aussi sûrement parce qu’il était un homme de principes, il n’a jamais plié. Jamais baissé les yeux. Jamais courbé l’échine. La droiture tant comme posture que comme état d’esprit. Se tenir droit. Face à la vie et face à ses détracteurs.

Avec une capacité hors norme de voir le beau. De toujours voir le beau. De savoir le trouver partout. Il donne l’impression d’avoir traversé la vie en dansant. Le pas léger, élégant et plein de grâce. Toujours élégant. De cette élégance si rare. Si vraie. Celle du cœur. Exigeant et généreux. Sans oxymore ni contradiction. Et toujours cette aptitude si rare à toujours s’élever. Rimbaud estimait que “le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens”. Zinoun était un poète. Un poète lumineux. Puisse son allure reconnaissable parmi mille et sa démarche à l’élégance racée nous inspirer encore longtemps. Et puisse sa lumière continuer de nous éclairer.