Lahcen Zinoun, une étoile dans le ciel

Le chorégraphe et réalisateur Lahcen Zinoun est décédé mardi 16 janvier à Casablanca. Il laisse derrière lui une vie dédiée à la passion pour laquelle il s’est battu corps et âme : la danse.

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Lahcen Zinoun
“Chez moi, la créativité est due à des blessures”, expliquait Lahcen Zinoun. Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Le monde de la culture est en berne depuis l’annonce du décès de Lahcen Zinoun, à l’âge de 80 ans, ce mardi matin à Casablanca. Sur la place Ollier à Casablanca, une école de ballet-théâtre continuera de porter le nom Zinoun. Elle a été fondée en 1978 par le chorégraphe et sa femme, Michèle Barette, qui, après avoir dansé partout à travers le monde et s’être installés au Maroc, ont voulu transmettre à leur tour.

“La danse est une religion. Je n’aurais pas su vivre autrement”, nous déclarait-il en avril 2021, quelques semaines après la sortie de son autobiographie, Le rêve interdit. Toute sa vie, c’est de ce rêve qu’il a été question : vivre de et pour la danse, quoiqu’il en coûte.

Au départ, un ultimatum

Dans le quartier de Derb Moulay Chérif où il grandit à Casablanca, Lahcen Zinoun rencontre l’art loin des conservatoires. Il y croisera des danseurs de rue, qui nourriront, comme il le confiera plus tard, son rapport à cet art. L’illumination se produit le jour où, jeune garçon, il découvre à travers le trou d’une serrure la danse classique académique derrière une porte fermée, au conservatoire municipal de Casablanca. Il passera son adolescence entre l’usine où il travaille et les cours de danse qu’il suit à l’insu de son père, qui lui posera un jour un ultimatum : sa famille, ou le ballet. Il choisira le ballet.

Lahhcen Zinoun au Royal Ballet de Wallonie
Lahcen Zinoun est devenu danseur étoile dans les années 1960.Crédit: DR

Dans les années 1960, il intègre le prestigieux Conservatoire de la Monnaie de Bruxelles, grâce à une bourse accordée par le conservatoire de Casablanca. Lahcen Zinoun devient alors danseur étoile. Durant les années qui suivront, il acquiert rigueur et technique. Les rencontres et représentations à travers le monde se succèdent.

Un jour, une danseuse de l’Opéra de Paris confie à Lahcen Zinoun que le roi Hassan II aime la danse classique, et que les solistes de l’Opéra de Paris sont régulièrement invités par le monarque pour des représentations. C’est suite à cette confidence qu’un rêve germe dans la tête du jeune danseur : importer la danse classique dans son pays, et en faire une discipline. Le couple Zinoun s’installe au Maroc en 1973, et enseigne dans un premier temps au Conservatoire national de Rabat. Quelque temps plus tard, ils sont invités au palais pour donner un spectacle, un pas de deux, devant des membres de la famille royale.

En même temps que l’école de danse, les Zinoun fondent également une compagnie qui se produit en Europe et dans le monde arabe, de Hammamet en Tunisie à New York, en passant par Madrid. Le style est particulier : dans les créations de Zinoun, le maillot de danse classique est remplacé par des éléments de la culture et du patrimoine marocain. Tout au long de sa carrière de chorégraphe, Lahcen Zinoun collabore avec les plus grands : Peter Van Dijk, André Leclair ou encore Janine Charrat.

La chute

Le rêve interdit, Lahcen Zinoun
Le rêve interdit, Lahcen Zinoun, éd. Maha, 2021.

Dans Le rêve interdit, Lahcen Zinoun faisait aussi le récit d’un événement qui l’aura marqué à vie. En 1986, quelque temps après avoir créé la troupe nationale des arts traditionnels, alors qu’il se trouvait à Madrid avec son Ballet-Théâtre, le chorégraphe doit se rendre à Rabat : le roi Hassan II l’attend pour une représentation.

En plein spectacle, le souverain interrompt les danseurs. “Nous sommes dans un pays d’hommes et de cavaliers, pas de danseurs. Nous sommes des hommes, des vrais”, aurait dit Hassan II aux danseurs, avant de brandir une menace au chorégraphe : “Je jure par Dieu que si tu touches encore au patrimoine, je déposerai plainte contre toi (…) Si tu veux faire quoique ce soit, hors de mon pays.

Lors de notre rencontre en 2021, Lahcen Zinoun semblait toujours garder des séquelles de ce sombre épisode. Il nous confiait alors : “Tout était détruit en moi. Tout. J’aurais aussi bien pu disparaître. Tout ce que j’avais comme projet et vision était anéanti.”

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Parce qu’il est danseur, Lahcen Zinoun se relèvera de cette chute. La guérison passera notamment par la peinture et la sculpture, qu’il découvre à cette époque. À la même période, une autre voie s’ouvre au chorégraphe : celle du cinéma. En 1988, il est présent sur le plateau de tournage de La dernière tentation du Christ du grand Martin Scorsese, en tant que chorégraphe.

Il collaborera de cette manière avec plusieurs grands réalisateurs internationaux — dont Bernardo Bertolucci et Roger Young — mais aussi marocains. Parmi eux, Mostapha Derkaoui, Abdelhaï Laraki, Souheil Benbarka et Saâd Chraïbi. C’est dans cette foulée qu’il réalise sa première œuvre cinématographique, Flagrant délit, en 1991. Trois courts-métrages et deux longs plus tard — Oud Al-ward et Femme écrite — le chorégraphe est aussi réalisateur.

Une dernière révérence

À chaque fois que l’occasion se présentait, Lahcen Zinoun se plaisait à citer le poète soufi Rûmi : “Parmi les chemins qui mènent à Dieu, j’ai choisi la danse et la musique”, disait-il toujours. Plus que des mouvements du corps, il voyait dans la danse un cheminement vers soi et les autres.

Plus que des mouvements du corps, Lahcen Zinoun voyait dans la danse un cheminement vers soi et les autres

Malgré ses cheveux blancs, Lahcen Zinoun a continué, autant que possible, à faire rayonner son art. Il plaidait pour une vraie valorisation des danses traditionnelles du Maroc en pleine perdition, ainsi que pour le déconfinement des corps des artistes.

Parmi d’autres projets, il souhaitait à tout prix réaliser un biopic de sa vie qui raconte les embûches qu’il a connues et traversées. “Beaucoup de gens connaissent ma danse, mais pas le chemin de croix par lequel je suis passé. J’espère que ce film sera sur pied avant ma disparition”, nous confiait-il en 2021.

Depuis ce mardi en début d’après-midi, les hommages pleuvent. Avec, aussi, le sentiment que Lahcen Zinoun avait encore tant à faire. Qu’ils soient cinéastes, acteurs, danseurs, ou anciens élèves, tous adressent une dernière révérence à cet homme au destin improbable. L’histoire se souviendra de lui comme le premier danseur étoile marocain, qui a su mettre en lumière une discipline encore trop oubliée, et faire rayonner son art au-delà des frontières.