Bienvenue à vous les amis, Zakaria Boualem vous souhaite de la patience, du discernement et un système digestif performant en ces temps difficiles. Il devient en effet de plus en plus complexe de s’exprimer ici même, pour de nombreuses raisons. La première, c’est que le contrat tacite entre nous, basé sur la production régulière d’une page sémillante, guillerette, enjouée, devient un peu ardu à respecter. L’ambiance est morose, c’est incontestable, et ce ne sont pas les plaisanteries poussives du Guercifi qui peuvent, hélas, inverser cette tendance.
La seconde raison qui complique la tâche du Boualem, c’est qu’il a la désagréable impression de vivre dans une fiction, une sorte de chronique filmée, où le sarcasme et l’ironie sont d’une telle puissance qu’il est parfaitement inutile d’y ajouter quoi que ce soit. Que voulez-vous dire quand des professionnels de la communication, issus de la seule démocratie de la région et employés par l’armée la plus morale du monde, s’amusent à nous exhiber un type à genoux, les mains jointes, et à nous le présenter comme un musulman en pleine prière, alors qu’il réalise un geste parfaitement inconnu dans ce rituel.
Que reste-t-il à ajouter quand on nous montre un calendrier en arabe, qui ne contient que les noms des jours de la semaine, et qu’on nous annonce triomphalement qu’il s’agit des noms des terroristes ? Quel devrait être le commentaire amusant du titulaire de ces pages quand la simple réalité propulse le délire à des hauteurs aussi effrayantes ? Il est contraint au silence, le pauvre, réduit au chômage par la production baroque et foisonnante des vrais responsables, ces authentiques héros de la plaisanterie, ceux qui appliquent à la lettre la loi qui veut que, si tu n’as pas peur pour ta face, alors les limites s’effacent devant toi.
Vous voulez d’autres exemples ? Comment peut-on imaginer enfumer les gens avec une vidéo d’une fausse infirmière palestinienne, aussi crédible que le Guercifi le serait s’il se grimait en golfeur japonais ? Comment qualifier la découverte miraculeuse d’un exemplaire de Mein Kampf dans, nous dit-on, “la chambre à coucher d’un enfant” palestinien ? A part imaginer Borat himself comme directeur de la propagande, il n’y a aucune explication logique à ce festival multicolore. C’est un peu triste, mais même le faux tube d’anthrax de 2003 est battu, brandi par le secrétaire d’État américain Colin Powell à l’ONU pour justifier une intervention militaire en Irak, et merci.
« Le simple principe de réciprocité, que même les gnous peuvent comprendre, leur échappe. Avez-vous déjà entendu un des médias de l’empire parler du droit des Palestiniens à se défendre, par exemple ? Jamais, ce n’est même pas envisageable »
Il faut donc oublier l’humour, les amis. Il reste la logique, mais elle aussi est en deuil, telle est la triste vérité. Quand on en est à devoir expliquer des évidences, à démontrer ce qui crève les yeux, le risque est grand de mourir d’épuisement avant que la vérité ne triomphe. Le simple principe de réciprocité, que même les gnous peuvent comprendre, leur échappe. Avez-vous déjà entendu un des médias de l’empire parler du droit des Palestiniens à se défendre, par exemple ? Jamais, ce n’est même pas envisageable. Combien de fois avez-vous eu droit à une interview transformée en interrogatoire menée par un journaliste procureur qui exige de son interlocuteur qu’il “condamne le khamassss ?” ou qu’il confirme “le droit à l’existence d’Israël” avant même de pouvoir développer sa pensée ? Est-ce qu’on peut, juste pour rigoler un peu, imaginer l’inverse, avec une question du genre “est-ce que la Palestine peut exister, par exemple, ou se défendre ?” La réponse est non, on ne peut pas, et merci. Il n’y a plus de logique, c’est officiel, elle est morte avec l’humour. Il reste donc le silence, c’est tout ce que le Boualem peut vous offrir, et merci.