Le football est cette corne d’abondance qui n’en finit plus de générer du bonheur collectif. Après un Mondial 2022 au Qatar, théâtre d’une performance étincelante des Lions de l’Atlas, voici que le Maroc est officiellement pays co-organisateur de la Coupe du Monde 2030. Il y joindra ses forces avec celles de ses voisins espagnol et portugais. Ceux qui ont quelques années sous le capot et des cheveux blancs sur les tempes savent à quel point l’organisation de la Coupe du Monde fut longtemps un traumatisme.
Plusieurs fois candidat depuis trente ans (…), mais toujours malheureux, victime parfois des combinazione de la FIFA, notre pays aura finalement obtenu ce sésame de haute lutte. La victoire n’en est que plus belle. Elle intervient au lendemain d’un séisme ravageur et console une nation toujours meurtrie par l’épreuve. Le Mondial accordé au Maroc, deuxième pays arabe et africain seulement à obtenir ce privilège, est aussi le fruit d’un travail de fond effectué tout au long des deux dernières décennies.
Servi par sa stabilité politique et un cadre macroéconomique sous contrôle, le pays a pu se bâtir un véritable soft power. Ce qu’on a appelé le “Moment” Maroc est réel. Le nom “Morocco” n’a jamais été autant évoqué à travers le monde que ces deux dernières années. L’on sent qu’il est à présent synonyme de quelque chose d’original, de “cool”, de particulier. Un alliage entre la tradition d’une terre impériale millénaire et une modernité assumée. Et avec cela, cerise sur le gâteau, un peuple qui inspire une sympathie authentique, un peuple étranger à l’arrogance et muni d’un sens rare de l’accueil.
Notre pays dispose donc d’atouts considérables. La gestion du séisme d’Al Haouz a démontré que l’on pouvait compter sur cette conjugaison naturelle entre un État fiable, capable de mobiliser ses forces pour faire face le plus efficacement possible à la catastrophe, et une société généreuse, dont l’élan sincère et solidaire a forcé l’admiration de la planète entière.
Ce concept d’État fort couplé à une société forte a d’ailleurs été au cœur du Nouveau modèle de développement (NMD). La copie rendue par Chakib Benmoussa en mai 2021 avait en effet fortement insisté sur la mise en musique de ces deux éléments. Le triste fait que les prescriptions du NMD n’aient pas infusé l’action du gouvernement nous condamne certes à ne pas en voir l’exécution sur le terrain. Mais peut-être que le cas du séisme d’Al Haouz nous en a fourni une démonstration vivante.
Qu’a-t-on vu ? En premier lieu, une action coordonnée de différents corps de l’État, armée, protection civile, gendarmerie, ministère de l’Intérieur, etc., et qui semblait se suffire à elle-même. Ensuite, une société civile qui s’est spontanément mobilisée en masse, sans injonction, sans mot d’ordre centralisateur.
En vérité, cette dialectique est très marocaine, mais elle s’articulait auparavant autour d’une logique de compensation. Lorsque l’État était incapable de procurer de l’aide ou des filets sociaux à la population (assurance santé, protection sociale, pensions de retraite dignes), la société prenait le relais via le caritatif et la solidarité familiale et tribale. À présent que l’État, fort de nouvelles ressources, parvient (ou parviendra bientôt) à couvrir des besoins anciennement insatisfaits, la société devient non plus un mécanisme compensatoire, mais un levier d’accélération de développement. On l’a vu avec le séisme, l’organisation minutieuse d’ONG connaisseuses du terrain est venue non pas se substituer à un État bien présent, mais au contraire, en amplifier l’action.
“L’État ne peut se complaire d’une société docile, passive, léthargique, sous peine de tourner à vide”
C’est cela l’originalité de ce mariage entre un État fort et une société forte : ne plus combler les lacunes respectives de chacun, mais en enrichir les apports. Comme le disait Aristote : le tout est supérieur à la somme des parties. Alors que l’État dispose de moyens de plus en plus importants, la société est appelée à hisser son niveau de contribution afin de maintenir l’équation en équilibre. L’État à son tour ne peut se complaire d’une société docile, passive, léthargique, sous peine de tourner à vide. La croissance de l’un doit s’accompagner par l’épanouissement de l’autre.
L’initiation du deuxième round de la Moudawana répond théoriquement à cette logique, l’État s’étant suffisamment consolidé en vingt ans pour permettre à la société d’accéder à plus de droits. Le débat autour des libertés individuelles ouvert par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’inscrit dans la même veine.