Benkirane ou la nausée

Par Fatym Layachi

Ca fait trois semaines que tu as l’impression que toi et tous les gens autour de toi êtes dans une sorte de machine à laver des émotions. Ce tremblement de terre qui a pourtant eu lieu à bien des kilomètres de l’épicentre de ton petit quotidien a remué pas mal de choses. Des jours et des nuits que tu traverses tout plein d’émotions. Que tu traverses tout plein de débats, plus ou moins enflammés, plus ou moins intéressants.

Et puis ça fait des jours et des nuits que tu entends et lis plein de choses dans le salon de ta tante, autour des tables où tu dînes, dans les vernissages que tu recommences à fréquenter, dans les magazines que tu lis et sur les réseaux sociaux que tu arpentes à coup de clics. Tu découvres des arguments plus ou moins contradictoires. Des raisonnements plus ou moins raisonnés. Des théories plus ou moins fumeuses. Des cheminements de pensées plus ou moins escarpés. Mais disons que tous étaient respectables ou du moins entendables.

Tous, jusqu’à ce que tu découvres ce que pense le PJD du séisme. Parce que oui, le PJD s’est remis à exprimer ses obscures pensées. Leur retour est bruyant, mais surtout, complètement furieux. Toi, depuis leur débâcle tu les croyais non pas calmés, mais au moins un peu plus raisonnables ou alors juste un peu moins déraisonnés. Tu pensais qu’ils avaient compris qu’il y a des lignes que la raison, la décence et un peu de bon sens ne permettent pas de franchir.

Et tu te croyais à l’abri de ce genre de sortie fracassante. Eh bien non. Ce que tu peux reconnaître aux hurlubarbus c’est qu’ils savent encore surprendre. Mais bon tu te serais bien passée de cette sinistre surprise. Un des leaders du PJD a été jusqu’à affirmer que ce séisme était peut-être “un avertissement” et qu’il fallait “chercher à savoir si ce qui s’est passé ne serait pas dû à nos péchés et transgressions”.

La déclaration
du PJD a écœuré jusque dans 
ses rangs

Fatym Layachi

Immonde interrogation qui t’a donné la nausée. C’est vrai que toi tu as l’estomac un peu fragile quand il s’agit des barbus de la cervelle, mais là, ça a écœuré jusque dans leurs rangs. Parce que ce qu’a déclaré le leader islamiste est très grave. Le mouvement des plaques tectoniques serait une punition divine que ces pauvres villageois mériteraient ? Au-delà de l’absence totale de fondement intellectuel de cette idée, il y a un truc qui te choque.

En plus de le trouver stupide, tu le trouves malvenu, ce raisonnement. Ces pauvres villageois aujourd’hui réfugiés sous des tentes seraient punis de leur péchés ? Et de quels péchés d’abord ? Tu as un peu de mal à voir en quoi ces villages de terre accrochés à flanc de montagne et peuplés de bergers et d’agriculteurs seraient des cités du vice que les gardiens d’une morale en kit devraient combattre. Dans ces villages vivent des hommes et des femmes qui pourraient donner des leçons de résilience et de foi à bien des faux dévots.

Bref, ce vomi verbal aux vagues accents religieux te semble bien éloigné des notions de clémence et de compassion qu’ils évoquent pourtant au moins cinq fois par jour en s’agenouillant. Comment peut-on oser haranguer des foules en pointant du doigt des populations endeuillées dont les maisons se sont effondrées, dont les familles ont été décimées ?

C’est au-delà du populisme. C’est pire. Qu’il y ait encore des gens qui peuvent croire à ces horreurs, ça te rend triste. Mais bon, tu ne peux pas juger. Tu ne peux pas juger les convictions des gens. On s’accroche à ce qu’on peut. La tristesse peut être parfois une piètre conseillère. En revanche que des hommes politiques se servent de cet argument sous couvert de religiosité, ça te révolte. Est-ce parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’intelligence, de courage ou de volonté pour tenter de répondre aux véritables questions des citoyens qu’il préfèrent attribuer les causes des désastres au divin ?