C’est un scénario de film inédit qui se profile en cette rentrée politique 2023/2024. Ses protagonistes : la CGEM, les syndicats et le ministère de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences.
Remontons le temps. Le 29 avril 2022, le dialogue social réunissant les trois acteurs précités débouchait sur une promesse d’augmentation du SMIG de 10% en deux temps. Une première de 5% prévue et obtenue en septembre 2022, et une seconde programmée au 1er septembre 2023. Autrement dit, aujourd’hui (si tant est que vous lisez cet article le jour de sa parution). Jusqu’ici tout va bien.
Sauf que non. Dans les accords sociaux validés par les trois parties, deux conditions ont été posées par la CGEM au passage de la seconde augmentation de 5%. Les voici. Un : l’accélération par le gouvernement du passage d’une loi organique sur le droit de grève favorable au patronat. Et deux : la modification du Code du travail vers davantage de flexibilité. Soit, au fond, la possibilité pour l’employeur de se séparer de son employé avec le plus de souplesse et le moins de dégâts financiers possible.
À l’issue de la signature de l’accord le 29 avril 2022, les poignées de main sont chaleureuses. Satisfaite, la CGEM agrée la première augmentation et se frotte déjà les mains en prévision des deux acquis qui se profilent à l’horizon. Mais voilà que l’histoire se complique. Comment le dire avec délicatesse ? Rien n’a été engagé par le gouvernement depuis cette date. Ni le passage de la loi sur le droit de grève, ni la “flexisécurité” attendue par le patronat.
Sauf que l’horloge continue de tourner et que la seconde hausse de 5% est censée entrer mécaniquement en vigueur ce vendredi (encore une fois si vous lisez TelQuel le 1er septembre 2023). Se pose donc l’inévitable question : les entreprises privées accepteront-elles d’activer la hausse des salaires sans les deux contreparties convoitées ? Si la CGEM refuse l’augmentation arguant d’engagements non tenus par le gouvernement, qui pourrait l’en blâmer ?
Et pourquoi diable, en plus d’un an et demi, le ministre PAM de l’Emploi, Younes Sekkouri, n’a-t-il pas fait avancer le dossier ? Pourquoi n’a-t-il guère engagé le dialogue avec les syndicats et les patrons ? Pourquoi ne s’est-il pas démené pour accélérer le vote de la loi organique sur le droit de grève au parlement ? Pourquoi n’a-t-il pas ouvert un débat national sur la révision du Code du travail, dont 24 articles seraient à modifier pour combler les attentes des patrons ?
“50% des plus de 3 millions de salariés du privé inscrits à la CNSS touchent le SMIG (…) si cette augmentation ne passe pas, cela priverait 1,5 million de Marocains vulnérables de revenus supplémentaires”
Oh ! Il n’y a pas pléthore de réponses à ces questions. En vérité, le ministre a juste manqué de sens de l’anticipation. Sans doute occupé par des dossiers jugés “plus importants”, a-t-il négligé celui du SMIG. Pourtant, cette hausse serait la bienvenue pour les classes laborieuses. Savez-vous que plus de 50% des plus de 3 millions de salariés du privé inscrits à la CNSS touchent le SMIG ? Cela veut dire que si, par négligence, cette augmentation ne passe pas, cela priverait 1,5 million de Marocains vulnérables de revenus supplémentaires.
Y a-t-il vraiment dossier plus prioritaire pour un ministre ? Les taux d’inflation inédits qui ont siphonné le pouvoir d’achat des Marocains modestes valaient bien que l’on s’assure du passage sans anicroche de ces 5%. Surtout qu’au plus fort de la hausse des prix, le gouvernement n’a jamais eu la bonne idée de servir des aides pécuniaires directes aux populations financièrement affaiblies.
Le ministre Sekkouri, qui a été entièrement responsabilisé par Aziz Akhannouch sur le suivi et l’aboutissement de ce dossier, n’y a pas veillé comme il se devait. C’est un fait. Nous le savons de source fiable, Sekkouri a été relancé en juillet par la chefferie du gouvernement dans l’optique de remonter des solutions d’urgence. Mais il n’est sorti de sa torpeur que la semaine dernière, s’activant soudainement pour sauver une situation compromise.
Une réunion avec Chakib Alj, président de la CGEM, a été programmée à la va-vite pour rattraper plus d’une année d’immobilisme et espérer activer l’augmentation promise. Trop peu trop tard peut-être ? Nous ne le souhaitons pas. En définitive, cette histoire aurait pu être drôle si elle n’était d’une tristesse absolue. Elle rend compte d’une procrastination inacceptable à ce niveau de responsabilité. Encourir le risque de priver des centaines de milliers de Marocains précaires d’une poignée de dirhams de plus est incompatible avec l’État social que promeut le roi Mohammed VI. Et qui plus est, non par manque de ressources, mais par absence de rigueur. Certains devront bientôt s’expliquer sur ce dysfonctionnement patent de gouvernance. Que l’augmentation du SMIG passe ou pas…