Zakaria Boualem est là pour vous tenir informés des diverses batailles qui jalonnent notre avancée vers les lumières du développement. Nous guerroyons, en effet, avec courage, pour dégager, sous nos pas, les perfides obstacles qui obstruent le chemin de la gloire. Un des combats récurrents est imposé par ce qu’on a coutume de nommer la guerre des langues.
Le nouveau front de ce vieux conflit est apparu cette année, et il oppose le français et l’anglais. Vous le savez, le Maroc pousse de toutes ses forces la langue de Beckham à détrôner celle de Mbappé. Tourner le dos à la francophonie poussiéreuse, synonyme d’oppression coloniale, pour embrasser avec fougue la modernité triomphante incarnée par l’anglais, voilà la grande idée.
Il semblerait que cette option ne provienne pas des bureaux de nos responsables, mais qu’il s’agisse d’une tendance de fond, poussée par les jeunes Marocains, de plus en plus nombreux à se jeter dans les bras de la grammaire d’Eminem. Même si, à ma connaissance, personne ne lui a demandé son avis, le Boualem va s’exprimer sur la question, un peu comme un influenceur qui pense que le monde retient son souffle en attendant son opinion.
Le Guercifi tient à signaler pour commencer que le français est frappé de quelques tares qui rendent son dossier assez difficile à défendre face à l’offensive britannique. Tout d’abord, c’est une langue très compliquée. Le héros qui a eu l’idée que le brave chiffre 92 serait énoncé quatre fois vingt plus douze mérite sans hésitation une peine sévère, tout comme l’illuminé qui a distribué aux objets les genres masculin et féminin en vertu de son seul bon vouloir.
“Chez nous, le français n’est pas vraiment une langue. C’est plus un marqueur social, telle est la triste vérité. Cette tare n’est pas imputable à l’anglais”
Oui, apprendre le français est une chose compliquée. On a même l’impression que cette langue n’a pas été conçue pour communiquer, mais pour permettre de juger du niveau de chacun. Le second problème, chez nous, c’est que cette langue n’en est pas vraiment une. C’est plus quelque chose comme un marqueur social, telle est la triste vérité. Cette tare n’est pas imputable à l’anglais. On peut sortir de la Mission française et avoir un accent infect en anglais ou, à l’inverse, évoluer dans les tréfonds d’un quartier populaire et gloser tel Snoop.
“Alors oui, l’anglais peut être une bonne idée. Bien entendu, tenir ce genre de propos dans une chronique écrite en français peut sembler relever du manque de cohérence”
Passer à l’anglais, c’est donc mettre une pincée d’égalité des chances dans une société qui entretient avec ce concept un rapport plutôt distant. Alors oui, l’anglais peut être une bonne idée. Bien entendu, tenir ce genre de propos dans une chronique écrite en français peut sembler relever du manque de cohérence. Mais nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps pour savoir que si cet homme, le Boualem, était cohérent, il serait comme ses collègues : installé à Bouskoura, avec un véhicule qui évoque la réussite, effectuant son pèlerinage vers Marbella tous les étés, il passerait son temps à se plaindre du personnel en attendant sa nationalité, qui n’est d’ailleurs pas la sienne. Il serait sans doute plus riche, mais effroyablement ennuyeux.
Et pour terminer cette page consacrée aux nouvelles provenant du front de la guerre des langues, il faut donner des nouvelles des autres idiomes qui interviennent dans le conflit. L’amazigh, anobli par son statut de langue officielle, est toujours enseigné avec parcimonie, il apparaît désormais sur les panneaux routiers et quelques bâtiments officiels, telle est la plus spectaculaire avancée dans son utilisation. Le malheureux amazighophone qui aurait l’idée de s’exprimer dans cette langue dans un tribunal, par exemple, serait voué au malentendu, telle est la sinistre vérité. La darija et l’arabe, eux, sont engagés dans un conflit très tendu, on ne sait trop pourquoi, nous en parlerons une autre fois, et merci.